Cruel paradoxe de ce printemps arabe : les défenseurs des droits de l'homme bahreïnis utilisent les réseaux sociaux occidentaux pour manifester ; leurs tortionnaires, des systèmes de surveillance occidentaux pour les espionner.
Au printemps dernier, un Bahreïni exilé à Londres, une économiste britannique résidant à Bahreïn et le propriétaire d’une station service en Alabama, naturalisé Américain, recevaient un e-mail émanant apparemment d’une journaliste d’Al-Jazeera.
Il y était question d’un rapport rédigé par Zainab Al-Khawaja, sur les tortures infligées à Nabeel Rajab, deux des défenseurs des droits de l’homme incarcérés (et probablement torturés) à Bahreïn, suivi de cette précision :
“Merci de vérifier le rapport détaillé en pièces jointe, avec des images de torture.“
Quelques jours plus tard, ils recevaient d’autres emails évoquant l’arrestation d’opposants bahreïnis, ou encore l’agenda du roi de Bahreïn, et systématiquement accompagnés de fichiers compressés en pièce jointe, laissant penser qu’il pourrait s’agir de virus informatiques.
Ces e-mails, transmis au journaliste de BloombergVernon Silver (qui a particulièrement suivi l’utilisation de technologies de surveillance occidentales par les dictatures arabes), ont ensuite été analysés par deux chercheurs associés au Citizen Lab, un laboratoire de recherche canadien qui étudie notamment les technologies de surveillance politique.
Morgan Marquis-Boire, un ingénieur en sécurité informatique travaillant chez Google, est un spécialiste (.pdf) des logiciels espions utilisés par les barbouzes libyens et syriens pour pirater les ordinateurs des cyber-dissidents. Bill Marczak, un doctorat en informatique de Berkeley, fait quant à lui partie de Bahrain Watch, qui veut promouvoir la transparence au Bahreïn, et dont le site tient la comptabilité des manifestants et civils tués par les autorités, des armes (chevrotine, grenades et gaz lacrymogènes) achetées à des entreprises occidentales, et des entreprises de relations publiques anglo-saxonnes financées par le régime.
En analysant les e-mails envoyés aux défenseurs des droits de l’homme bahreïnis, les deux chercheurs ont découvert un logiciel espion particulièrement perfectionné, utilisant une “myriade de techniques destinées à échapper à toute forme de détection“, notamment par les antivirus, dont le code n’en mentionnait pas moins, et plusieurs fois, le mot FinSpy, la société Gamma International, et le nom de plusieurs de ses responsables.
FinSpy, à en croire cette proposition de contrat trouvée en mars 2011 dans l’un des bâtiments de la sécurité égyptienne après la chute du régime Moubharak, est vendu près de 300 000 euros. C’est l’un des produits phares de la gamme d’outils de “lutte informatique offensive” commercialisés par FinFisher, filiale de la société britannique Gamma, spécialisée dans les systèmes de surveillance et d’interception des télécommunications. Owni avait déjà eu l’occasion de présenter sa gamme de produits, et même de réaliser un montage vidéo à partir des clips promotionnels expliquant le fonctionnement de ses logiciels.
A l’occasion de l’opération SpyFiles, WikiLeaks et Privacy International avaient révélé que FinFisher faisait partie des cinq marchands d’armes de surveillance numérique spécialisés dans les chevaux de Troie. Derrière ce nom, des logiciels espions créés pour prendre le contrôle des ordinateurs qu’ils infectent afin d’activer micro et caméra, d’enregistrer toutes les touches tapées sur le clavier (et donc les mots de passe) ou encore les conversations sur Skype, par messagerie instantanée, par e-mail etc. avant de renvoyer, de façon furtive et chiffrée, les données interceptées via des serveurs situés dans plusieurs pays étranger.
Un autre chercheur en sécurité informatique a ainsi réussi à identifier des serveurs utilisés pour contrôler FinSpy, et donc espionner des ordinateurs, en Estonie, Éthiopie, Indonésie, Lettonie, Mongolie, au Qatar, en république tchèque et aux USA, mais également en Australie, ainsi qu’à Dubai, deux des pays placés “sous surveillance” dans le classement des Ennemis d’Internet émis par Reporters sans frontières. Dans une seconde note, publiée fin août, CitizenLab révèle avoir identifié d’autres serveurs dans 2 des 12 pays considérés comme des “Ennemis d’Internet” par RSF : l’un au Bahreïn, l’autre contrôlé par le ministère des télécommunications du Turkménistan, considéré comme l’un des régimes les plus répressifs au monde.
Les deux chercheurs détaillent par ailleurs le fonctionnement de FinSpy Mobile, qui permet d’infecter les iPhone et autres téléphones portables Android, Symbian, Windows et Blackberry, afin de pouvoir espionner les SMS, emails et télécommunications, exfiltrer les contacts et autres données, géolocaliser le mobile, et même d’activer, à distance, le téléphone à la manière d’un micro espion, sans que l’utilisateur ne s’aperçoive de la manipulation.
A Bloomberg, qui l’interrogeait, Martin J. Muench, 31 ans, le concepteur de FinFisher, a nié avoir vendu son cheval de Troie à Bahreïn, tout en reconnaissant qu’il pourrait s’agir d’une version de démonstration de son logiciel espion qui aurait été volée à Gamma. Au New York Times, où il démentait toute espèce d’implication, expliquant, tout comme l’avait fait Amesys, que ses produits ne servaient qu’à combattre les criminels, à commencer par les pédophiles :
Les utilisations les plus fréquentes visent les pédophiles, les terroristes, le crime organisé, le kidnapping et le trafic d’être humain.
Dans une déclaration publiée moins d’une heure après la publication de la deuxième note de Citizen Lab, Martin J. Muench envoyait un communiqué mentionné par le New York Times pour expliquer que l’un des serveurs de Gamma aurait été piraté, et que des versions de démonstrations de FinSpy auraient bien été dérobées. Dans la foulée, plusieurs des serveurs utilisés par FinFisher pour permettre aux données siphonnées de remonter jusqu’à leurs donneurs d’ordre ont disparu des réseaux.
Comme notre enquête sur Amesys, le marchand d’armes français qui avait créé un système de surveillance généralisé d’Internet à la demande de Kadhafi (voir Au pays de Candy) l’avait démontré, les logiciels espions et systèmes d’interception et de surveillance des télécommunications ne font pas partie des armes dont l’exportation est juridiquement encadrée (voir Le droit français tordu pour Kadhafi). Aucune loi n’interdit donc à un marchand d’armes occidental de faire commerce avec une dictature ou un pays dont on sait qu’il se servira de ces outils pour espionner opposants politiques et défenseurs des droits humains.
François Hollande recevant le roi Hamed ben Issa al-Khalifa de Bahreïn
Interrogé lors d’un point presse ce 4 septembre, le porte-parole de l’ambassade de France à Bahreïn a expliqué avoir “appris avec déception les décisions de la Cour d’appel du Bahreïn qui confirment les lourdes peines infligées à ces opposants” :
Le cas de Monsieur Khawaja nous préoccupe tout spécialement. Nous espérons vivement qu’un réexamen de ces condamnations aura lieu lors d’un éventuel pourvoi en cassation. Nous restons préoccupés par la persistance des tensions dans le royaume de Bahreïn et rappelons notre profond attachement aux principes de liberté d’expression et de droit à manifester pacifiquement.
Le 23 juillet dernier, François Hollande recevait très discrètement le roi du Bahreïn, Hamed ben Issa Al Khalifa, à Paris. Etrangement, cette visite officielle ne figurait pas sur l’agenda du président, et n’a été connue que parce qu’une journaliste de l’AFP a tweeté, interloquée, leur poignée de main sur le perron de l’Elysée. Officiellement, côté français, il a été question de la situation en Syrie, et de la menace nucléaire en Iran. Jean-Paul Burdy, maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, relève cela dit que l’agence de presse de Bahreïn avance que de nombreux autres sujets ont été abordés, y compris la coopération entre les deux pays en matière de lutte contre “toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme“, ainsi que de “l’importance de la promotion de la démocratie et des droits humains“. Au lendemain de cette visite, la presse bahreïnie salue en “une” l’accord de coopération signé entre la France et le Bahreïn, et visant à mettre en place, souligneLe Monde, des réformes dans les secteurs de la presse et de la justice, ce qui fait bondir l’opposition :
La France prend le risque de devenir la complice des tours de passe-passe de la monarchie, s’indigne Abdel Nabi Al-Ekry, un vieil opposant de gauche. Comment peut-elle prétendre réformer la justice bahreïnie alors que 21 des dirigeants de l’opposition croupissent en prison, au terme de procès bidons ? C’est décevant de la part d’un socialiste comme Hollande.
L’agenda de l’Élysée, dépiauté par Rue89, révèle qu’”au moins six autres représentants de pays autoritaires ou franchement dictatoriaux ont été reçus par François Hollande depuis son élection“, alors même que François Hollande avait pourtant promis de “ne pas inviter de dictateurs à Paris“. Cinq d’entre eux sont soupçonnés d’avoir voulu acheter le système Eagle de surveillance généralisé de l’Internet conçu par la société française Amesys à la demande de Kadhafi, et dont le nom de code, en interne, était Candy, comme bonbon, en anglais.
À la manière d’un mauvais polar, les autres contrats négociés par Amesys portent en effet tous un nom de code inspiré de célèbres marques de friandises, bonbons, chocolats, crèmes glacées ou sodas : “Finger” pour le Qatar (sa capitale s’appelle… Doha), “Pop Corn” pour le Maroc, “Kinder” en Arabie Saoudite, “Oasis” à Dubai, “Crocodile” au Gabon, et “Miko” au Kazakhstan, dont le dictateur-président est le seul à ne pas avoir encore été reçu par François Hollande, quand bien même il utiliserait par contre le système FinSpy de FinFisher.
Depuis le classement sans suite de la plainte déposée à l’encontre d’Amesys, à la veille de la présidentielle, le nouveau gouvernement ne s’est jamais prononcé sur cette affaire, par plus que sur l’implication de Claude Guéant, Brice Hortefeux et des services secrets français, non plus que sur une éventuelle interdiction, à l’exportation, de la commercialisation des armes de surveillance numérique.
Pour se prémunir de ce genre de chevaux de Troie, Citizen Lab rappelle tout d’abord que ces logiciels espions ne peuvent être installés que si le pirate a un accès physique à la machine (ordinateur ou téléphone portable), ou si la victime accepte d’ouvrir une pièce jointe ou une application que les espions prennent cela dit généralement soin de maquiller de sorte qu’elle émane d’une personne ou institution de confiance. Les chercheurs recommandent également de régulièrement mettre à jour systèmes d’exploitation et logiciels -à commencer par l’anti-virus, les suites Office, Acrobat, Java, Flash, en vérifiant que les mises à jour proviennent de sources légitimes et de confiance-, mais également d’installer des fonds d’écran protégés par mot de passe (pour éviter à un intrus de profiter d’une pause pipi pour pirater votre système), et enfin d’utiliser si possible des mots de passe forts, et des logiciels de chiffrement. Voir aussi, à ce titre, notre petit manuel de contre-espionnage informatique.
Cruel paradoxe de ce printemps arabe : les défenseurs des droits de l'homme bahreïnis utilisent les réseaux sociaux occidentaux pour manifester ; leurs tortionnaires, des systèmes de surveillance occidentaux pour les espionner.
Au printemps dernier, un Bahreïni exilé à Londres, une économiste britannique résidant à Bahreïn et le propriétaire d’une station service en Alabama, naturalisé Américain, recevaient un e-mail émanant apparemment d’une journaliste d’Al-Jazeera.
Il y était question d’un rapport rédigé par Zainab Al-Khawaja, sur les tortures infligées à Nabeel Rajab, deux des défenseurs des droits de l’homme incarcérés (et probablement torturés) à Bahreïn, suivi de cette précision :
“Merci de vérifier le rapport détaillé en pièces jointe, avec des images de torture.“
Quelques jours plus tard, ils recevaient d’autres emails évoquant l’arrestation d’opposants bahreïnis, ou encore l’agenda du roi de Bahreïn, et systématiquement accompagnés de fichiers compressés en pièce jointe, laissant penser qu’il pourrait s’agir de virus informatiques.
Ces e-mails, transmis au journaliste de BloombergVernon Silver (qui a particulièrement suivi l’utilisation de technologies de surveillance occidentales par les dictatures arabes), ont ensuite été analysés par deux chercheurs associés au Citizen Lab, un laboratoire de recherche canadien qui étudie notamment les technologies de surveillance politique.
Morgan Marquis-Boire, un ingénieur en sécurité informatique travaillant chez Google, est un spécialiste (.pdf) des logiciels espions utilisés par les barbouzes libyens et syriens pour pirater les ordinateurs des cyber-dissidents. Bill Marczak, un doctorat en informatique de Berkeley, fait quant à lui partie de Bahrain Watch, qui veut promouvoir la transparence au Bahreïn, et dont le site tient la comptabilité des manifestants et civils tués par les autorités, des armes (chevrotine, grenades et gaz lacrymogènes) achetées à des entreprises occidentales, et des entreprises de relations publiques anglo-saxonnes financées par le régime.
En analysant les e-mails envoyés aux défenseurs des droits de l’homme bahreïnis, les deux chercheurs ont découvert un logiciel espion particulièrement perfectionné, utilisant une “myriade de techniques destinées à échapper à toute forme de détection“, notamment par les antivirus, dont le code n’en mentionnait pas moins, et plusieurs fois, le mot FinSpy, la société Gamma International, et le nom de plusieurs de ses responsables.
FinSpy, à en croire cette proposition de contrat trouvée en mars 2011 dans l’un des bâtiments de la sécurité égyptienne après la chute du régime Moubharak, est vendu près de 300 000 euros. C’est l’un des produits phares de la gamme d’outils de “lutte informatique offensive” commercialisés par FinFisher, filiale de la société britannique Gamma, spécialisée dans les systèmes de surveillance et d’interception des télécommunications. Owni avait déjà eu l’occasion de présenter sa gamme de produits, et même de réaliser un montage vidéo à partir des clips promotionnels expliquant le fonctionnement de ses logiciels.
A l’occasion de l’opération SpyFiles, WikiLeaks et Privacy International avaient révélé que FinFisher faisait partie des cinq marchands d’armes de surveillance numérique spécialisés dans les chevaux de Troie. Derrière ce nom, des logiciels espions créés pour prendre le contrôle des ordinateurs qu’ils infectent afin d’activer micro et caméra, d’enregistrer toutes les touches tapées sur le clavier (et donc les mots de passe) ou encore les conversations sur Skype, par messagerie instantanée, par e-mail etc. avant de renvoyer, de façon furtive et chiffrée, les données interceptées via des serveurs situés dans plusieurs pays étranger.
Un autre chercheur en sécurité informatique a ainsi réussi à identifier des serveurs utilisés pour contrôler FinSpy, et donc espionner des ordinateurs, en Estonie, Éthiopie, Indonésie, Lettonie, Mongolie, au Qatar, en république tchèque et aux USA, mais également en Australie, ainsi qu’à Dubai, deux des pays placés “sous surveillance” dans le classement des Ennemis d’Internet émis par Reporters sans frontières. Dans une seconde note, publiée fin août, CitizenLab révèle avoir identifié d’autres serveurs dans 2 des 12 pays considérés comme des “Ennemis d’Internet” par RSF : l’un au Bahreïn, l’autre contrôlé par le ministère des télécommunications du Turkménistan, considéré comme l’un des régimes les plus répressifs au monde.
Les deux chercheurs détaillent par ailleurs le fonctionnement de FinSpy Mobile, qui permet d’infecter les iPhone et autres téléphones portables Android, Symbian, Windows et Blackberry, afin de pouvoir espionner les SMS, emails et télécommunications, exfiltrer les contacts et autres données, géolocaliser le mobile, et même d’activer, à distance, le téléphone à la manière d’un micro espion, sans que l’utilisateur ne s’aperçoive de la manipulation.
A Bloomberg, qui l’interrogeait, Martin J. Muench, 31 ans, le concepteur de FinFisher, a nié avoir vendu son cheval de Troie à Bahreïn, tout en reconnaissant qu’il pourrait s’agir d’une version de démonstration de son logiciel espion qui aurait été volée à Gamma. Au New York Times, où il démentait toute espèce d’implication, expliquant, tout comme l’avait fait Amesys, que ses produits ne servaient qu’à combattre les criminels, à commencer par les pédophiles :
Les utilisations les plus fréquentes visent les pédophiles, les terroristes, le crime organisé, le kidnapping et le trafic d’être humain.
Dans une déclaration publiée moins d’une heure après la publication de la deuxième note de Citizen Lab, Martin J. Muench envoyait un communiqué mentionné par le New York Times pour expliquer que l’un des serveurs de Gamma aurait été piraté, et que des versions de démonstrations de FinSpy auraient bien été dérobées. Dans la foulée, plusieurs des serveurs utilisés par FinFisher pour permettre aux données siphonnées de remonter jusqu’à leurs donneurs d’ordre ont disparu des réseaux.
Comme notre enquête sur Amesys, le marchand d’armes français qui avait créé un système de surveillance généralisé d’Internet à la demande de Kadhafi (voir Au pays de Candy) l’avait démontré, les logiciels espions et systèmes d’interception et de surveillance des télécommunications ne font pas partie des armes dont l’exportation est juridiquement encadrée (voir Le droit français tordu pour Kadhafi). Aucune loi n’interdit donc à un marchand d’armes occidental de faire commerce avec une dictature ou un pays dont on sait qu’il se servira de ces outils pour espionner opposants politiques et défenseurs des droits humains.
François Hollande recevant le roi Hamed ben Issa al-Khalifa de Bahreïn
Interrogé lors d’un point presse ce 4 septembre, le porte-parole de l’ambassade de France à Bahreïn a expliqué avoir “appris avec déception les décisions de la Cour d’appel du Bahreïn qui confirment les lourdes peines infligées à ces opposants” :
Le cas de Monsieur Khawaja nous préoccupe tout spécialement. Nous espérons vivement qu’un réexamen de ces condamnations aura lieu lors d’un éventuel pourvoi en cassation. Nous restons préoccupés par la persistance des tensions dans le royaume de Bahreïn et rappelons notre profond attachement aux principes de liberté d’expression et de droit à manifester pacifiquement.
Le 23 juillet dernier, François Hollande recevait très discrètement le roi du Bahreïn, Hamed ben Issa Al Khalifa, à Paris. Etrangement, cette visite officielle ne figurait pas sur l’agenda du président, et n’a été connue que parce qu’une journaliste de l’AFP a tweeté, interloquée, leur poignée de main sur le perron de l’Elysée. Officiellement, côté français, il a été question de la situation en Syrie, et de la menace nucléaire en Iran. Jean-Paul Burdy, maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, relève cela dit que l’agence de presse de Bahreïn avance que de nombreux autres sujets ont été abordés, y compris la coopération entre les deux pays en matière de lutte contre “toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme“, ainsi que de “l’importance de la promotion de la démocratie et des droits humains“. Au lendemain de cette visite, la presse bahreïnie salue en “une” l’accord de coopération signé entre la France et le Bahreïn, et visant à mettre en place, souligneLe Monde, des réformes dans les secteurs de la presse et de la justice, ce qui fait bondir l’opposition :
La France prend le risque de devenir la complice des tours de passe-passe de la monarchie, s’indigne Abdel Nabi Al-Ekry, un vieil opposant de gauche. Comment peut-elle prétendre réformer la justice bahreïnie alors que 21 des dirigeants de l’opposition croupissent en prison, au terme de procès bidons ? C’est décevant de la part d’un socialiste comme Hollande.
L’agenda de l’Élysée, dépiauté par Rue89, révèle qu’”au moins six autres représentants de pays autoritaires ou franchement dictatoriaux ont été reçus par François Hollande depuis son élection“, alors même que François Hollande avait pourtant promis de “ne pas inviter de dictateurs à Paris“. Cinq d’entre eux sont soupçonnés d’avoir voulu acheter le système Eagle de surveillance généralisé de l’Internet conçu par la société française Amesys à la demande de Kadhafi, et dont le nom de code, en interne, était Candy, comme bonbon, en anglais.
À la manière d’un mauvais polar, les autres contrats négociés par Amesys portent en effet tous un nom de code inspiré de célèbres marques de friandises, bonbons, chocolats, crèmes glacées ou sodas : “Finger” pour le Qatar (sa capitale s’appelle… Doha), “Pop Corn” pour le Maroc, “Kinder” en Arabie Saoudite, “Oasis” à Dubai, “Crocodile” au Gabon, et “Miko” au Kazakhstan, dont le dictateur-président est le seul à ne pas avoir encore été reçu par François Hollande, quand bien même il utiliserait par contre le système FinSpy de FinFisher.
Depuis le classement sans suite de la plainte déposée à l’encontre d’Amesys, à la veille de la présidentielle, le nouveau gouvernement ne s’est jamais prononcé sur cette affaire, par plus que sur l’implication de Claude Guéant, Brice Hortefeux et des services secrets français, non plus que sur une éventuelle interdiction, à l’exportation, de la commercialisation des armes de surveillance numérique.
Pour se prémunir de ce genre de chevaux de Troie, Citizen Lab rappelle tout d’abord que ces logiciels espions ne peuvent être installés que si le pirate a un accès physique à la machine (ordinateur ou téléphone portable), ou si la victime accepte d’ouvrir une pièce jointe ou une application que les espions prennent cela dit généralement soin de maquiller de sorte qu’elle émane d’une personne ou institution de confiance. Les chercheurs recommandent également de régulièrement mettre à jour systèmes d’exploitation et logiciels -à commencer par l’anti-virus, les suites Office, Acrobat, Java, Flash, en vérifiant que les mises à jour proviennent de sources légitimes et de confiance-, mais également d’installer des fonds d’écran protégés par mot de passe (pour éviter à un intrus de profiter d’une pause pipi pour pirater votre système), et enfin d’utiliser si possible des mots de passe forts, et des logiciels de chiffrement. Voir aussi, à ce titre, notre petit manuel de contre-espionnage informatique.
La nouvelle est passée inaperçue. Le 7 mai, l’agence de presse officielle syrienne a annoncé que le président avait reçu un message de soutien du roi du Bahreïn. Cela pourrait faire sourire s’il n’y avait en cause des milliers de vies humaines : un roi, allié des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite, qui vient d’écraser une révolte démocratique dans son propre pays – qu’il accuse l’Iran d’avoir fomentée ! – envoie un message de soutien au meilleur allié arabe de Téhéran et dénonce les « conspirations » dont serait victime la Syrie. Ce soutien fièrement brandi par Damas n’empêche pas le régime baasiste d’expliquer qu’il doit faire face à un complot américain.
On l’a dit ici, le régime syrien doit faire face à la même vague de revendications qui submerge l’ensemble du monde arabe, du Maroc à l’Irak. Fin de l’autoritarisme et de la corruption ; du travail et du pain ; liberté d’expression ; liberté d’organisation : tels sont les mots d’ordre communs. Et, aussi, le retour de la karama, de la dignité. Pour essayer de comprendre ce que ce mot d’ordre veut dire, on lira le témoignage assez bouleversant d’une jeune femme lesbienne syrienne que les services de police viennent arrêter la nuit et qui est défendue par son père (« My father, the hero », 26 avril 2011, sur le blog A Gay girl in Damascus). L’arbitraire des autorités, des policiers municipaux qui harcèlent le jeune Bouazizi en Tunisie aux bandes de jeunes armés qui tabassent les manifestants à Banyas, c’est ce que refusent désormais les peuples, malgré la peur et la répression.
Alors que nous recevons des images en direct du Yémen ou de Jordanie, et même de Libye, deux pays maintiennent un black-out inquiétant sur ce qui se passe chez eux : le Bahreïn et la Syrie. Je ne reviens pas ici sur l’origine des événements du Bahreïn, qui ont abouti à l’intervention des troupes saoudiennes et à la proclamation de l’état d’urgence. Depuis se développe une campagne haineuse contre la majorité chiite de la population, et les mesures se succèdent pour en finir avec toute vie politique et associative indépendante. La brutalité des policiers – souvent des étrangers naturalisés – n’est plus à démontrer et la torture d’un usage courant (Bill Law, « Police brutality turns Bahrain into ’island of fear’ », 6 avril 2011). Le pouvoir n’hésite même pas à détruire des mosquées (Roy Gutman, « While Bahrain demolishes mosques, U.S. stays silent », 8 mai 2011). Le journal d’opposition Al-Wasat, dont le rédacteur en chef avait dû démissionner, est sur le point d’être interdit, d’anciens députés sont arrêtés, des médecins aussi (Human Rights Watch, « Bahrain : Arbitrary Arrests Escalate », 4 mai 2011). Et cela sans parler des condamnations à mort prononcées par des cours militaires.
Toutes ces exactions ont provoqué quelques réactions. Il faut mentionner la condamnation vigoureuse prononcée par le ministre norvégien des affaires étrangères (« Norway concerned over the human rights situation in Bahrain », 5 mai). La Suisse s’est prononcée dans le même sens. On notera aussi l’appel du principal syndicat américain, l’AFL-CIO, à suspendre les accords de libre-échange avec le Bahreïn (« U.S. labor urges trade pact with Bahrain be suspended », Reuters, 6 mai). Quant à l’administration Obama, si l’on en croit le Bahrain Freedom Movement, elle serait intervenue auprès de Manama pour demander la cessation des violations des droits de la personne, ce qui aurait amené à la libération d’un certains nombre de médecins et d’infirmières (« Bahrain : International stands humiliate Al Khalifa », Saudi occupiers, 8 mai).
Le ministère des affaires étrangères français a demandé aux autorités de Bahreïn de ne pas appliquer la peine de mort. Et le communiqué du 29 avril ajoute : « Avec le retour au calme, il est par ailleurs temps de rechercher les voies d’un dialogue sincère entre les parties concernées et de la réconciliation, seule solution durable à la crise politique à Bahreïn. » Retour au calme ? Drôle de formulation, car s’il y a eu des désordres, c’est le fait des autorités, pas des manifestants ; et l’ordre actuel est l’ordre imposé par la force des baïonnettes...
En Syrie, cela fait deux mois que les soulèvements ont commencé, et ils se sont étendus à de nombreuses villes (lire Patrick Seale, « Fatal aveuglement de la famille Al-Assad », Le Monde diplomatique, mai 2011). Le régime y a répondu avec brutalité, affirmant qu’il était l’objet d’une conspiration et qu’il faisait face à des groupes armés. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas convaincu ni apporté la moindre preuve de ses affirmations. En 1980, le pouvoir faisait face à une insurrection armée fomentée par les Frères musulmans, qui n’avaient pas hésité à multiplier les assassinats de cadres et de militaires ; l’écrasement de la ville de Hama, les milliers de morts provoqués par les bombardements indiscriminés, n’étaient certes pas justifiables, mais ils s’inscrivaient dans une guerre ouverte. En revanche, rien de tel aujourd’hui, si ce n’est des incidents armés sporadiques dont on a du mal à connaître l’origine.
Une autre différence importante avec ce qui s’était passé à Hama en 1980 tient évidemment à l’information. Alors que les événements de l’époque n’avaient filtré qu’au compte-gouttes, aujourd’hui, nous recevons des images et des témoignages. Certes, ceux-ci sont partiels et parfois sujets à caution ; les exagérations, alimentées parfois par une partie de l’opposition en exil, sont certaines. Mais le pouvoir syrien, qui les condamne, est le premier à refuser aux journalistes de pouvoir travailler.
Comme l’explique Ignace Leverrier, un ancien diplomate, sur son blog Un œil sur la Syrie (9 mai) : « Le régime veut imposer à tous les Syriens, par la crainte de la prison… et des mauvais traitements qui lui sont systématiquement associés, un silence total sur les événements qui se déroulent en ce moment en Syrie. Le pouvoir veut en effet se réserver le monopole de l’information sur la réalité des faits et du commentaire sur leur signification. Il ne veut pas être contredit lorsque, malgré les témoignages concordants de milliers de films, d’images et d’enregistrements disponibles, il attribue les protestations populaires à des “agents de l’étranger” et décrit ceux qui y participent comme de dangereux “terroristes islamiques”. »
Après avoir bloqué, dans les villes où l’armée intervient, les téléphones et Internet, le pouvoir semble avoir trouvé le moyen de bloquer les téléphones satellitaires (Joshua Landis, « It seems they got better in tracking satellite mobiles », Syria Comment, 8 mai).
Et le refus de laisser une mission des Nations unies se rendre à Deraa, après que Damas lui en ait dans un premier temps accordé l’autorisation, ne peut que confirmer les pires craintes (« Syria protests : UN voices concern over cut-off Deraa », BBC News, 9 mai).
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’issue des événements – et le pouvoir semble croire qu’il va réussir à écraser le mouvement (Anthony Shahid, « Syria Proclaims It Now Has Upper Hand Over Uprising », The New York Times, 9 mai) –, il est douteux que le régime puisse se rétablir comme il a pu le faire après l’écrasement de Hama. Les images de la répression l’ont affaibli, même s’il a pu jouer sur les peurs confessionnelles, notamment celles des alaouites et des chrétiens.
Ce témoignage apporté sur le site de The Angry Arab, le 4 mai, « On sectarianism in Syria », est intéressant : « Je suis un Américain qui a vécu à Damas pendant l’année écoulée. C’est incroyablement frustrant d’être là-bas et à lire des blogs comme... qui sont devenus extrêmement obsessionnels, sur la perspective d’une fitna (division confessionnelle) en Syrie. Je me souviens d’un article qui disait essentiellement : si vous êtes un chrétien aisé ou un Syrien alaouite, vous ne pouvez pas être contre le régime. Le problème avec ces analystes, c’est qu’ils ne vivent pas en Syrie et ne peuvent pas voir l’évolution sur le terrain. J’ai vu beaucoup de mes amis chrétiens et même quelques alaouites changer de camp si vite que cela m’a fait tourner la tête. Durant les événements en Egypte, j’ai demandé à beaucoup d’entre eux : “Pensez-vous que quelque chose comme ça ne pourrait jamais se produire ici ?” et ils ont tous dit : “Jamais, nous aimons notre président, les seuls qui ne l’aiment pas sont les Frères musulmans.” Deux mois plus tard, ces mêmes personnes, qui étaient abonnées à des journaux d’opposition (communistes pour la plupart), organisaient des réunions, et maudissaient Assad. Je doute que ce phénomène soit limité à mon groupe des contacts. Je voudrais aussi faire remarquer que de ce groupe d’amis, seuls ceux qui vivent à Lataquieh sont sortis pour protester. Mes amis à Damas, en particulier ceux qui ont changé de camp, se plaignent : “Nous voulons faire quelque chose, mais nous ne savons pas encore comment !” »
L’Union européenne a adopté un certain nombre de mesures contre des personnalités liées au régime (mais pas contre le président lui-même) et imposé un embargo sur les armes pouvant être utilisées pour la répression interne (« EU imposes arms embargo on Syria », Al-Jazeera English, 9 mai). En revanche, on attend toujours des mesures de sanction à l’égard des multiples violations des droits humains et du droit international par le gouvernement israélien... La situation a amené un certain nombre de personnes à lancer une pétition demandant au gouvernement français d’adopter une position plus ferme à l’égard de la Syrie (« Lettre ouverte pour une politique plus ferme de la France à l’égard de la Syrie »).
On notera, en conclusion, la différence de traitement que la chaîne Al-Jazira accorde aux événements de Syrie et de Bahreïn : alors que sur les premiers elle se place clairement du côté des insurgés et consacre à ce pays des heures d’antenne, elle maintient un profil bas sur Bahreïn, où l’intervention des troupes du Conseil de coopération du Golfe a été entérinée par le Qatar, principal financier de la chaîne (lire Mohammed El Oifi, « Al-Jazira, scène politique de substitution », Le Monde diplomatique, mai 2011.)
« Comprendre le réveil arabe », lundi 16 mai à Paris
Le Monde diplomatique et l’Institut du monde arabe vous invitent, dans le cadre du Café littéraire de l’Institut du monde arabe (exceptionnellement déplacé du mercredi au lundi), à un débat qui aura pour thème :
Le réveil arabe
Avec Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique, Bassma Kodmani, Philippe Leymarie et Jean-Pierre Séréni. Ce débat sera modéré par Badr-Eddine Arodaky, directeur général adjoint de l’Institut du monde arabe. Lundi 16 mai à 19 heures Salle du Haut Conseil, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed-V, Paris - 5e Entrée libre, réservation conseillée : ddidier@imarabe.org Le nouveau numéro de Manière de voir, la revue bimestrielle du Monde diplomatique, intitulé « Comprendre le réveil arabe », paraîtra le lundi 16 mai.
La nouvelle est passée inaperçue. Le 7 mai, l’agence de presse officielle syrienne a annoncé que le président avait reçu un message de soutien du roi du Bahreïn. Cela pourrait faire sourire s’il n’y avait en cause des milliers de vies humaines : un roi, allié des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite, qui vient d’écraser une révolte démocratique dans son propre pays – qu’il accuse l’Iran d’avoir fomentée ! – envoie un message de soutien au meilleur allié arabe de Téhéran et dénonce les « conspirations » dont serait victime la Syrie. Ce soutien fièrement brandi par Damas n’empêche pas le régime baasiste d’expliquer qu’il doit faire face à un complot américain.
On l’a dit ici, le régime syrien doit faire face à la même vague de revendications qui submerge l’ensemble du monde arabe, du Maroc à l’Irak. Fin de l’autoritarisme et de la corruption ; du travail et du pain ; liberté d’expression ; liberté d’organisation : tels sont les mots d’ordre communs. Et, aussi, le retour de la karama, de la dignité. Pour essayer de comprendre ce que ce mot d’ordre veut dire, on lira le témoignage assez bouleversant d’une jeune femme lesbienne syrienne que les services de police viennent arrêter la nuit et qui est défendue par son père (« My father, the hero », 26 avril 2011, sur le blog A Gay girl in Damascus). L’arbitraire des autorités, des policiers municipaux qui harcèlent le jeune Bouazizi en Tunisie aux bandes de jeunes armés qui tabassent les manifestants à Banyas, c’est ce que refusent désormais les peuples, malgré la peur et la répression.
Alors que nous recevons des images en direct du Yémen ou de Jordanie, et même de Libye, deux pays maintiennent un black-out inquiétant sur ce qui se passe chez eux : le Bahreïn et la Syrie. Je ne reviens pas ici sur l’origine des événements du Bahreïn, qui ont abouti à l’intervention des troupes saoudiennes et à la proclamation de l’état d’urgence. Depuis se développe une campagne haineuse contre la majorité chiite de la population, et les mesures se succèdent pour en finir avec toute vie politique et associative indépendante. La brutalité des policiers – souvent des étrangers naturalisés – n’est plus à démontrer et la torture d’un usage courant (Bill Law, « Police brutality turns Bahrain into ’island of fear’ », 6 avril 2011). Le pouvoir n’hésite même pas à détruire des mosquées (Roy Gutman, « While Bahrain demolishes mosques, U.S. stays silent », 8 mai 2011). Le journal d’opposition Al-Wasat, dont le rédacteur en chef avait dû démissionner, est sur le point d’être interdit, d’anciens députés sont arrêtés, des médecins aussi (Human Rights Watch, « Bahrain : Arbitrary Arrests Escalate », 4 mai 2011). Et cela sans parler des condamnations à mort prononcées par des cours militaires.
Toutes ces exactions ont provoqué quelques réactions. Il faut mentionner la condamnation vigoureuse prononcée par le ministre norvégien des affaires étrangères (« Norway concerned over the human rights situation in Bahrain », 5 mai). La Suisse s’est prononcée dans le même sens. On notera aussi l’appel du principal syndicat américain, l’AFL-CIO, à suspendre les accords de libre-échange avec le Bahreïn (« U.S. labor urges trade pact with Bahrain be suspended », Reuters, 6 mai). Quant à l’administration Obama, si l’on en croit le Bahrain Freedom Movement, elle serait intervenue auprès de Manama pour demander la cessation des violations des droits de la personne, ce qui aurait amené à la libération d’un certains nombre de médecins et d’infirmières (« Bahrain : International stands humiliate Al Khalifa », Saudi occupiers, 8 mai).
Le ministère des affaires étrangères français a demandé aux autorités de Bahreïn de ne pas appliquer la peine de mort. Et le communiqué du 29 avril ajoute : « Avec le retour au calme, il est par ailleurs temps de rechercher les voies d’un dialogue sincère entre les parties concernées et de la réconciliation, seule solution durable à la crise politique à Bahreïn. » Retour au calme ? Drôle de formulation, car s’il y a eu des désordres, c’est le fait des autorités, pas des manifestants ; et l’ordre actuel est l’ordre imposé par la force des baïonnettes...
En Syrie, cela fait deux mois que les soulèvements ont commencé, et ils se sont étendus à de nombreuses villes (lire Patrick Seale, « Fatal aveuglement de la famille Al-Assad », Le Monde diplomatique, mai 2011). Le régime y a répondu avec brutalité, affirmant qu’il était l’objet d’une conspiration et qu’il faisait face à des groupes armés. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas convaincu ni apporté la moindre preuve de ses affirmations. En 1980, le pouvoir faisait face à une insurrection armée fomentée par les Frères musulmans, qui n’avaient pas hésité à multiplier les assassinats de cadres et de militaires ; l’écrasement de la ville de Hama, les milliers de morts provoqués par les bombardements indiscriminés, n’étaient certes pas justifiables, mais ils s’inscrivaient dans une guerre ouverte. En revanche, rien de tel aujourd’hui, si ce n’est des incidents armés sporadiques dont on a du mal à connaître l’origine.
Une autre différence importante avec ce qui s’était passé à Hama en 1980 tient évidemment à l’information. Alors que les événements de l’époque n’avaient filtré qu’au compte-gouttes, aujourd’hui, nous recevons des images et des témoignages. Certes, ceux-ci sont partiels et parfois sujets à caution ; les exagérations, alimentées parfois par une partie de l’opposition en exil, sont certaines. Mais le pouvoir syrien, qui les condamne, est le premier à refuser aux journalistes de pouvoir travailler.
Comme l’explique Ignace Leverrier, un ancien diplomate, sur son blog Un œil sur la Syrie (9 mai) : « Le régime veut imposer à tous les Syriens, par la crainte de la prison… et des mauvais traitements qui lui sont systématiquement associés, un silence total sur les événements qui se déroulent en ce moment en Syrie. Le pouvoir veut en effet se réserver le monopole de l’information sur la réalité des faits et du commentaire sur leur signification. Il ne veut pas être contredit lorsque, malgré les témoignages concordants de milliers de films, d’images et d’enregistrements disponibles, il attribue les protestations populaires à des “agents de l’étranger” et décrit ceux qui y participent comme de dangereux “terroristes islamiques”. »
Après avoir bloqué, dans les villes où l’armée intervient, les téléphones et Internet, le pouvoir semble avoir trouvé le moyen de bloquer les téléphones satellitaires (Joshua Landis, « It seems they got better in tracking satellite mobiles », Syria Comment, 8 mai).
Et le refus de laisser une mission des Nations unies se rendre à Deraa, après que Damas lui en ait dans un premier temps accordé l’autorisation, ne peut que confirmer les pires craintes (« Syria protests : UN voices concern over cut-off Deraa », BBC News, 9 mai).
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’issue des événements – et le pouvoir semble croire qu’il va réussir à écraser le mouvement (Anthony Shahid, « Syria Proclaims It Now Has Upper Hand Over Uprising », The New York Times, 9 mai) –, il est douteux que le régime puisse se rétablir comme il a pu le faire après l’écrasement de Hama. Les images de la répression l’ont affaibli, même s’il a pu jouer sur les peurs confessionnelles, notamment celles des alaouites et des chrétiens.
Ce témoignage apporté sur le site de The Angry Arab, le 4 mai, « On sectarianism in Syria », est intéressant : « Je suis un Américain qui a vécu à Damas pendant l’année écoulée. C’est incroyablement frustrant d’être là-bas et à lire des blogs comme... qui sont devenus extrêmement obsessionnels, sur la perspective d’une fitna (division confessionnelle) en Syrie. Je me souviens d’un article qui disait essentiellement : si vous êtes un chrétien aisé ou un Syrien alaouite, vous ne pouvez pas être contre le régime. Le problème avec ces analystes, c’est qu’ils ne vivent pas en Syrie et ne peuvent pas voir l’évolution sur le terrain. J’ai vu beaucoup de mes amis chrétiens et même quelques alaouites changer de camp si vite que cela m’a fait tourner la tête. Durant les événements en Egypte, j’ai demandé à beaucoup d’entre eux : “Pensez-vous que quelque chose comme ça ne pourrait jamais se produire ici ?” et ils ont tous dit : “Jamais, nous aimons notre président, les seuls qui ne l’aiment pas sont les Frères musulmans.” Deux mois plus tard, ces mêmes personnes, qui étaient abonnées à des journaux d’opposition (communistes pour la plupart), organisaient des réunions, et maudissaient Assad. Je doute que ce phénomène soit limité à mon groupe des contacts. Je voudrais aussi faire remarquer que de ce groupe d’amis, seuls ceux qui vivent à Lataquieh sont sortis pour protester. Mes amis à Damas, en particulier ceux qui ont changé de camp, se plaignent : “Nous voulons faire quelque chose, mais nous ne savons pas encore comment !” »
L’Union européenne a adopté un certain nombre de mesures contre des personnalités liées au régime (mais pas contre le président lui-même) et imposé un embargo sur les armes pouvant être utilisées pour la répression interne (« EU imposes arms embargo on Syria », Al-Jazeera English, 9 mai). En revanche, on attend toujours des mesures de sanction à l’égard des multiples violations des droits humains et du droit international par le gouvernement israélien... La situation a amené un certain nombre de personnes à lancer une pétition demandant au gouvernement français d’adopter une position plus ferme à l’égard de la Syrie (« Lettre ouverte pour une politique plus ferme de la France à l’égard de la Syrie »).
On notera, en conclusion, la différence de traitement que la chaîne Al-Jazira accorde aux événements de Syrie et de Bahreïn : alors que sur les premiers elle se place clairement du côté des insurgés et consacre à ce pays des heures d’antenne, elle maintient un profil bas sur Bahreïn, où l’intervention des troupes du Conseil de coopération du Golfe a été entérinée par le Qatar, principal financier de la chaîne (lire Mohammed El Oifi, « Al-Jazira, scène politique de substitution », Le Monde diplomatique, mai 2011.)
« Comprendre le réveil arabe », lundi 16 mai à Paris
Le Monde diplomatique et l’Institut du monde arabe vous invitent, dans le cadre du Café littéraire de l’Institut du monde arabe (exceptionnellement déplacé du mercredi au lundi), à un débat qui aura pour thème :
Le réveil arabe
Avec Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique, Bassma Kodmani, Philippe Leymarie et Jean-Pierre Séréni. Ce débat sera modéré par Badr-Eddine Arodaky, directeur général adjoint de l’Institut du monde arabe. Lundi 16 mai à 19 heures Salle du Haut Conseil, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed-V, Paris - 5e Entrée libre, réservation conseillée : ddidier@imarabe.org Le nouveau numéro de Manière de voir, la revue bimestrielle du Monde diplomatique, intitulé « Comprendre le réveil arabe », paraîtra le lundi 16 mai.
Les images sur Al-Jazira se répètent et le monde arabe semble en suspens, hésitant entre révolution et contre-révolution. Des dizaines de milliers de manifestants et de manifestantes au Yémen, dont de nombreuses portant la burqa, réclament le départ du président et la démocratie. En Syrie, le feu éclate ici et là, et le régime semble incapable de répondre par autre chose qu’une répression brutale. En Egypte, le président et ses deux fils ont été arrêtés et interrogés par la police et le premier hospitalisé après une crise cardiaque ; l’enquête prouve au moins que le mouvement n’a pas été stoppé et, pas à pas, arrive à imposer des changements. En Libye, une sorte d’équilibre s’est établie entre les forces du colonel Kadhafi et celles des rebelles. Ces incertitudes ne doivent pas masquer l’essentiel : le mouvement déclenché par les Tunisiens a atteint tous les pays arabes – des blogueurs ont même été arrêtés aux Emirats arabes unis – et la région en sera profondément modifiée, même si les puissances occidentales n’arrivent pas à mesurer ce qui s’est passé (lire Marwan Bishara, « It’s Arab and it’s personal », Al Jazeera English, 12 avril). Nous non plus, sans doute, tellement ce tremblement de terre ébranle tous les paradigmes à travers lesquels on comprenait la région.
Il peut paraître étrange, dans ces conditions, et surtout à partir de Ramallah, d’écrire quelques lignes sur un petit émirat qui ne fait pas la Une, et au sujet duquel les dirigeants occidentaux, si prompts à dénoncer les répressions, semblent privés de parole. Pourtant, c’est là que la contre-révolution se déploie avec brutalité, menant une guerre confessionnelle. Les autorités de Bahreïn ont confirmé que Karim Fakhrawi était mort en détention : c’était un homme d’affaires, membre de l’organisation Al-Wefaq, qui disposait de 18 sièges sur 40 au Parlement élu (« Bahrain opposition figure ’dies in custody’ », Al Jazeera English, 12 avril). Il est difficile de se faire une idée de qui se passe, les autorités maintenant un grand silence et les arrestations arbitraires se multipliant : on évalue à plusieurs centaines de personnes, voire à un millier, le nombre de personnes incarcérées et au moins quatre sont mortes, sans doute sous la torture — pratique courante dans l’émirat depuis les années 1970, quand des conseillers britanniques encadraient la police locale. Les rapports de Human Rights Watch ou des articles de presse, comme celui paru dans The New York Times du 12 avril, jettent pourtant une lumière inquiétante sur ce qui se passe : Clifford Krauss (« Hospital Is Drawn Into Bahrain Strife ») : on y voit les autorités arrêter des médecins, entrer dans un hôpital, confisquer des dossiers médicaux de gens qui ont été soignés à la suite de la répression... En revanche, on peut noter le profil bas d’Al-Jazira, prise dans les relations complexes entre Qatar et l’Arabie saoudite.
Rappelons que le royaume est dirigé par une dynastie sunnite tandis que la majorité de la population est chiite. La campagne de répression et l’intervention des troupes saoudiennes et du Golfe ont mis fin à toute idée de dialogue national. Pour les autorités, la majorité de la population chiite est désormais suspecte et accusée de collaborer avec Téhéran. Dans un entretien donné au quotidien Al-Sharq Al-Awsat le 20 mars, cheikh Abdalatif Al-Mahmoud, le leader du Rassemblement de l’unité nationale (dont le nom est bien trompeur, il ne représente qu’une partie des sunnites), affirme que les chiites avaient un plan pour s’emparer du pouvoir et organiser un coup d’Etat. Il divise les chiites bahreinis en trois catégories : ceux qui travaillent avec l’Iran, ceux qui attendent le résultat de la confrontation et ceux qui soutiennent le régime. Il affirme que ces derniers représentent 20% des chiites — une manière de reconnaitre que la majorité de la population du royaume s’oppose au régime. Rarement a-t-on vu quelqu’un dénoncer la majorité de son propre peuple comme des agents de l’étranger (je ne sais pas si c’est le caractère scandaleux des propos qui a amené le journal à ne pas traduire cet entretien sur le site en anglais).
La situation au Bahreïn est certes compliquée, et la dimension confessionnelle ne peut être négligée, mais le mouvement qui a débuté en février exigeait une constitution démocratique et la transformation de la monarchie en monarchie constitutionnelle. Bien des sunnites ont participé aux rassemblements. Pour connaître les détails de ce mouvement, et aussi les calculs des uns et des autres, on lira le rapport de l’International Crisis Goup, « The Bahrein Revolt », 6 avril 2011).
Ce sont les éléments les plus réactionnaires dans la famille royale qui ont à la fois utilisé la violence en faisant tuer des manifestants pacifiques et avivé le caractère confessionnel du conflit. La brutalité des forces de l’ordre, toutes sunnites, souvent composées d’étrangers naturalisés pour la seule raison qu’ils étaient sunnites, a pu se déployer encore plus avec l’entrée des troupes saoudiennes sous le drapeau de « Bouclier du désert », l’organisation commune de défense du Conseil de coopération du Golfe (CCG), composé de l’Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar, les Emirats arabes unis, le Koweït et Oman. Mais, rien ne prévoit une telle intervention, si ce n’est une menace extérieure, qui n’existait évidemment pas à Bahreïn, même si le CCG dénonce l’Iran.
Les effectifs totaux des forces sous le commandement intégré s’élèvent à 40 000 hommes ; elles disposent d’une base permanente à Hafar Al-Batin (Arabie saoudite). En fait, c’est Riyad qui mène le jeu et des tensions se sont fait sentir au sein du CCG depuis l’intervention, Qatar regrettant que seule soit mise en œuvre la répression, alors qu’il faudrait relancer les tentatives de dialogue national. Pour Riyad, l’installation d’un régime démocratique à ses frontières (l’île est reliée à l’Arabie par un pont de 26 kilomètres) est d’autant plus inacceptable que Bahreïn jouxte la province est du royaume, où sont concentrées les ressources pétrolières et la minorité chiite saoudienne.
On lira une interview du commandant en chef de « Bouclier du désert » dans Al-Sharq Al-Awsat, 27 mars (traduit en anglais le 28 mars sur le site du journal, « A talk with Peninsula Shield force commander Mutlaq Bin Salem al-Azima »). La complaisance des questions est à la mesure de l’alignement du quotidien sur la politique saoudienne (lire Mohammed El-Oifi, « Voyage au cœur des quotidiens panarabes », Le Monde diplomatique, décembre 2006). Le commandant en chef affirme que la force intervenue à Bahreïn représente 10% des effectifs des forces de « Bouclier du désert », soit 4 000 hommes (et non 1 500, comme l’a rapporté la presse).
Bahreïn est le siège de la Ve flotte américaine et du commandement de la composante navale du Centcom et il offre aux avions américains une base (à Issa) ainsi que l’utilisation de l’aéroport international. La base contribue à 1% du PNB du royaume et Washington a décidé d’investir plus d’un demi-milliard de dollars d’ici 2015 pour en doubler les capacités (lire Alexander Cooley et Daniel H. Nexon, « Bahrein’s Base Politics. The Arab Spring and America’s Military Bases », Foreign Affairs, 5 avril.)
Bien que les Etats-Unis aient au départ été réticents face à l’entrée des troupes saoudiennes, ils se sont ralliés depuis à l’idée des ingérences iraniennes qui justifieraient la politique de la famille royale. La visite du secrétaire américain à la défense Robert Gates le 6 avril à Riyad a confirmé cet infléchissement. S’il est probable qu’il existe des ingérences iraniennes (et aussi saoudiennes, américaines, etc.) et si les autorités de Téhéran ont condamné avec force l’intervention saoudienne, c’est surtout en Irak que les réactions ont été les plus vives, les chiites irakiens et bahreïnis étant très liés – et les relations entre Bagdad et Riyad sont déjà très tendues.
Le résultat sera sans doute l’aggravation des tensions entre chiites et sunnites, un moyen de détourner les révolutions arabes de leur objectif démocratique. La demande des pays du CCG de reporter le sommet arabe qui devait se tenir fin mars à Bagdad en est un signe parmi d’autres.
Les images sur Al-Jazira se répètent et le monde arabe semble en suspens, hésitant entre révolution et contre-révolution. Des dizaines de milliers de manifestants et de manifestantes au Yémen, dont de nombreuses portant la burqa, réclament le départ du président et la démocratie. En Syrie, le feu éclate ici et là, et le régime semble incapable de répondre par autre chose qu’une répression brutale. En Egypte, le président et ses deux fils ont été arrêtés et interrogés par la police et le premier hospitalisé après une crise cardiaque ; l’enquête prouve au moins que le mouvement n’a pas été stoppé et, pas à pas, arrive à imposer des changements. En Libye, une sorte d’équilibre s’est établie entre les forces du colonel Kadhafi et celles des rebelles. Ces incertitudes ne doivent pas masquer l’essentiel : le mouvement déclenché par les Tunisiens a atteint tous les pays arabes – des blogueurs ont même été arrêtés aux Emirats arabes unis – et la région en sera profondément modifiée, même si les puissances occidentales n’arrivent pas à mesurer ce qui s’est passé (lire Marwan Bishara, « It’s Arab and it’s personal », Al Jazeera English, 12 avril). Nous non plus, sans doute, tellement ce tremblement de terre ébranle tous les paradigmes à travers lesquels on comprenait la région.
Il peut paraître étrange, dans ces conditions, et surtout à partir de Ramallah, d’écrire quelques lignes sur un petit émirat qui ne fait pas la Une, et au sujet duquel les dirigeants occidentaux, si prompts à dénoncer les répressions, semblent privés de parole. Pourtant, c’est là que la contre-révolution se déploie avec brutalité, menant une guerre confessionnelle. Les autorités de Bahreïn ont confirmé que Karim Fakhrawi était mort en détention : c’était un homme d’affaires, membre de l’organisation Al-Wefaq, qui disposait de 18 sièges sur 40 au Parlement élu (« Bahrain opposition figure ’dies in custody’ », Al Jazeera English, 12 avril). Il est difficile de se faire une idée de qui se passe, les autorités maintenant un grand silence et les arrestations arbitraires se multipliant : on évalue à plusieurs centaines de personnes, voire à un millier, le nombre de personnes incarcérées et au moins quatre sont mortes, sans doute sous la torture — pratique courante dans l’émirat depuis les années 1970, quand des conseillers britanniques encadraient la police locale. Les rapports de Human Rights Watch ou des articles de presse, comme celui paru dans The New York Times du 12 avril, jettent pourtant une lumière inquiétante sur ce qui se passe : Clifford Krauss (« Hospital Is Drawn Into Bahrain Strife ») : on y voit les autorités arrêter des médecins, entrer dans un hôpital, confisquer des dossiers médicaux de gens qui ont été soignés à la suite de la répression... En revanche, on peut noter le profil bas d’Al-Jazira, prise dans les relations complexes entre Qatar et l’Arabie saoudite.
Rappelons que le royaume est dirigé par une dynastie sunnite tandis que la majorité de la population est chiite. La campagne de répression et l’intervention des troupes saoudiennes et du Golfe ont mis fin à toute idée de dialogue national. Pour les autorités, la majorité de la population chiite est désormais suspecte et accusée de collaborer avec Téhéran. Dans un entretien donné au quotidien Al-Sharq Al-Awsat le 20 mars, cheikh Abdalatif Al-Mahmoud, le leader du Rassemblement de l’unité nationale (dont le nom est bien trompeur, il ne représente qu’une partie des sunnites), affirme que les chiites avaient un plan pour s’emparer du pouvoir et organiser un coup d’Etat. Il divise les chiites bahreinis en trois catégories : ceux qui travaillent avec l’Iran, ceux qui attendent le résultat de la confrontation et ceux qui soutiennent le régime. Il affirme que ces derniers représentent 20% des chiites — une manière de reconnaitre que la majorité de la population du royaume s’oppose au régime. Rarement a-t-on vu quelqu’un dénoncer la majorité de son propre peuple comme des agents de l’étranger (je ne sais pas si c’est le caractère scandaleux des propos qui a amené le journal à ne pas traduire cet entretien sur le site en anglais).
La situation au Bahreïn est certes compliquée, et la dimension confessionnelle ne peut être négligée, mais le mouvement qui a débuté en février exigeait une constitution démocratique et la transformation de la monarchie en monarchie constitutionnelle. Bien des sunnites ont participé aux rassemblements. Pour connaître les détails de ce mouvement, et aussi les calculs des uns et des autres, on lira le rapport de l’International Crisis Goup, « The Bahrein Revolt », 6 avril 2011).
Ce sont les éléments les plus réactionnaires dans la famille royale qui ont à la fois utilisé la violence en faisant tuer des manifestants pacifiques et avivé le caractère confessionnel du conflit. La brutalité des forces de l’ordre, toutes sunnites, souvent composées d’étrangers naturalisés pour la seule raison qu’ils étaient sunnites, a pu se déployer encore plus avec l’entrée des troupes saoudiennes sous le drapeau de « Bouclier du désert », l’organisation commune de défense du Conseil de coopération du Golfe (CCG), composé de l’Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar, les Emirats arabes unis, le Koweït et Oman. Mais, rien ne prévoit une telle intervention, si ce n’est une menace extérieure, qui n’existait évidemment pas à Bahreïn, même si le CCG dénonce l’Iran.
Les effectifs totaux des forces sous le commandement intégré s’élèvent à 40 000 hommes ; elles disposent d’une base permanente à Hafar Al-Batin (Arabie saoudite). En fait, c’est Riyad qui mène le jeu et des tensions se sont fait sentir au sein du CCG depuis l’intervention, Qatar regrettant que seule soit mise en œuvre la répression, alors qu’il faudrait relancer les tentatives de dialogue national. Pour Riyad, l’installation d’un régime démocratique à ses frontières (l’île est reliée à l’Arabie par un pont de 26 kilomètres) est d’autant plus inacceptable que Bahreïn jouxte la province est du royaume, où sont concentrées les ressources pétrolières et la minorité chiite saoudienne.
On lira une interview du commandant en chef de « Bouclier du désert » dans Al-Sharq Al-Awsat, 27 mars (traduit en anglais le 28 mars sur le site du journal, « A talk with Peninsula Shield force commander Mutlaq Bin Salem al-Azima »). La complaisance des questions est à la mesure de l’alignement du quotidien sur la politique saoudienne (lire Mohammed El-Oifi, « Voyage au cœur des quotidiens panarabes », Le Monde diplomatique, décembre 2006). Le commandant en chef affirme que la force intervenue à Bahreïn représente 10% des effectifs des forces de « Bouclier du désert », soit 4 000 hommes (et non 1 500, comme l’a rapporté la presse).
Bahreïn est le siège de la Ve flotte américaine et du commandement de la composante navale du Centcom et il offre aux avions américains une base (à Issa) ainsi que l’utilisation de l’aéroport international. La base contribue à 1% du PNB du royaume et Washington a décidé d’investir plus d’un demi-milliard de dollars d’ici 2015 pour en doubler les capacités (lire Alexander Cooley et Daniel H. Nexon, « Bahrein’s Base Politics. The Arab Spring and America’s Military Bases », Foreign Affairs, 5 avril.)
Bien que les Etats-Unis aient au départ été réticents face à l’entrée des troupes saoudiennes, ils se sont ralliés depuis à l’idée des ingérences iraniennes qui justifieraient la politique de la famille royale. La visite du secrétaire américain à la défense Robert Gates le 6 avril à Riyad a confirmé cet infléchissement. S’il est probable qu’il existe des ingérences iraniennes (et aussi saoudiennes, américaines, etc.) et si les autorités de Téhéran ont condamné avec force l’intervention saoudienne, c’est surtout en Irak que les réactions ont été les plus vives, les chiites irakiens et bahreïnis étant très liés – et les relations entre Bagdad et Riyad sont déjà très tendues.
Le résultat sera sans doute l’aggravation des tensions entre chiites et sunnites, un moyen de détourner les révolutions arabes de leur objectif démocratique. La demande des pays du CCG de reporter le sommet arabe qui devait se tenir fin mars à Bagdad en est un signe parmi d’autres.
C’est le 14 février que se déroule à Bahreïn la première manifestation contre la dynastie régnante et que tombe la première victime ; le lendemain, lors de ses funérailles, un autre jeune homme est tué. Dans un geste spectaculaire, le roi présente alors ses excuses pour les morts, et les opposants occupent pacifiquement la place des Perles. Le 17 février au matin, l’armée donne l’assaut, tuant cinq personnes, dont certaines assassinées dans leur sommeil, sous la tente. Le lendemain, une nouvelle fois, l’armée se retire et, depuis, un calme précaire prévaut, même si les manifestations se poursuivent sans discontinuer. L’histoire singulière de cet archipel de quelques dizaines d’îles situé dans le Golfe, sa proximité avec l’Arabie saoudite et la présence du quartier général de la Ve flotte américaine, expliquent aussi bien la forte politisation de la population que les chassés-croisés de la monarchie et les incertitudes qui demeurent.
Deux siècles de domination perse, avant la colonisation britannique, ont marqué le pays, dont la majorité de la population, contrairement à la famille régnante (Al-Khalifa) sunnite, est chiite. Téhéran prétendit d’ailleurs annexer le Bahreïn lorsque Londres renonça, en 1968, à son protectorat. Mais la consultation organisée en 1970 sous le contrôle de l’ONU aboutit à l’indépendance, proclamée en août 1971. La vie à Bahreïn est marquée par une agitation politique chronique et par la présence de forces d’opposition, de gauche radicale et islamiste puissantes. La dissolution, en 1975, de l’assemblée élue deux ans plus tôt — signe, alors, d’une démocratisation balbutiante — et la découverte d’un « complot iranien » en 1981, puis d’une tentative de coup d’Etat en 1985, renforcent le caractère répressif du régime.
Mais l’opposition, de plus en plus dominée par les islamistes chiites (après la révolution iranienne de 1979), ne désarme pas, encouragée par les difficultés économiques, notamment le chômage, très élevé parmi les chiites, et par les discriminations. Elle réclame le retour à la Constitution de 1973 : des milliers de citoyens signent une pétition en ce sens en octobre 1994. Le mois suivant éclate une véritable intifada, qui se poursuivra plusieurs années. Des dizaines de personnes sont tuées, des centaines arrêtées ; la torture est une pratique courante. En 1999, l’arrivée au pouvoir du nouvel émir cheikh Hamad bin Isa Al-Khalifa, succédant à son père décédé, permet une certaine ouverture démocratique : libération des opposants et retour dans l’émirat des exilés, reconnaissance de l’égalité entre les citoyens, abolition des lois d’exception et restauration de la liberté de parole. Une nouvelle Charte nationale, plébiscitée par référendum en février 2001, scelle la réconciliation nationale, mais celle-ci ne durera pas. L’émir se proclame roi en février 2002. Il promulgue, sans consultation, une Constitution qui institue une Assemblée nationale bicamérale dont quarante membres sont bien élus, mais dont quarante autres sont désignés par le roi. Ce « coup d’Etat constitutionnel » s’accompagne d’une série de décrets royaux limitant le jeu politique. Les principaux mouvements de l’opposition (Al-Wefaq et Al-Waad, de gauche) boycottent les élections législatives d’octobre 2002 auxquelles, pour la première fois, les femmes sont autorisées à voter. Un compromis est finalement trouvé et l’opposition accepte de participer au scrutin du 2 décembre 2006.
C’est au même moment qu’éclate un scandale : des documents divulgués par un fonctionnaire britannique d’origine soudanaise révèlent que le gouvernement octroie la nationalité à des citoyens pakistanais ou arabes à condition qu’ils soient sunnites et que, d’autre part, il finance directement des journalistes et des candidats qui lui sont favorables. Les résultats du scrutin de 2006 ont confirmé l’influence du parti islamiste chiite Al-Wefaq, qui emporte 17 sièges sur 40. Mais la coexistence se révèle ardue et le gouvernement ne prend pas en compte les revendications de l’opposition. La protestation passe à nouveau dans la rue en 2010, et, même si les élections ont lieu au mois de novembre avec la participation d’Al-Wefaq (18 sièges), elles sont boycottées par un mouvement plus radical à l’égard du pouvoir, Al-Haq, et par les organisations de défense des droits humains qui cherchent à dépasser le clivage sunnites/chiites (lire Cortni Kerr et Toby C. Jones, « A Revolution paused in Bahrain », Middle East Report on line (Merip), 23 février). le mécontentement grandit qui débouche sur les manifestations du 14 février, la répression, puis le face-à-face qui se prolonge.
Les acteurs principaux sont d’abord les organisations nationales. Face à la mobilisation, perçue par une partie de la population comme chiite, voire manipulée par l’Iran, les forces favorables à la monarchie ont manifesté de manière massive, regroupant des dizaines de milliers de partisans, le plus souvent sur une base confessionnelle. Il faut toutefois noter que lors des dernières élections, on a assisté à un recul des islamistes sunnites, notamment des Frères musulmans.
Al-Wefaq s’est rallié au mouvement de protestation et ses députés ont décidé de quitter l’assemblée nationale. La libération par les autorités de tous les prisonniers politiques, l’amnistie accordée à Hassan Moushaimaa, un dirigeant du mouvement Al-Haq qui a pu rentrer d’exil (lire « Bahrain unrest : Shia dissident Hassan Mushaima returns », BBC News, 26 février), ont été des premières victoires. Mais elles ont mis aussi en évidence les divergences entre ceux qui réclament l’abolition pure et simple de la monarchie et ceux qui se prononcent pour une monarchie constitutionnelle, ces derniers craignant que des revendications plus radicales ne débouchent sur un affrontement entre sunnites et chiites.
Quant à la famille royale, elle semble divisée et pourra difficilement accepter l’idée même d’une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté d’acheter la population en offrant l’équivalent de 2 650 dollars à chaque famille, après avoir tenté la répression, les options sont limitées. Le roi et le prince héritier sont favorables au dialogue avec les oppositions, tandis que le premier ministre, en poste depuis plus de quarante ans, est partisan d’une ligne plus dure (lire Olivier Da Lage, « Bahreïn : dissensions chez les Al Khalifa ? », 20 février 2011.)
Les événements ne peuvent laisser indifférente l’Arabie saoudite, qui a toujours considéré la stabilité de Bahreïn comme relevant de la sécurité nationale, d’autant que ce petit royaume jouxte sa province est, à majorité chiite et où sont concentrées les richesses pétrolières. Les Saoud pourraient intervenir directement si cela est nécessaire, en utilisant le pont de 20 kilomètres de long qui relie l’île au royaume, pont inauguré en 1986 et dont tous les observateurs avaient noté à l’époque la dimension militaire.
Pour ajouter aux contradictions, Bahreïn abrite le quartier général de la Ve flotte américaine, et Washington a décidé d’y investir un demi-milliard de dollars, d’où les déclarations embarrassées de la Maison Blanche face à la répression. Le 25 février, le chef d’état-major américain, l’amiral Mike Mullen, en visite à Bahreïn, a déclaré que ce pays était un allié crucial (critical long-time ally). Et le président Obama a mis tout son poids dans le soutien à la volonté du roi d’entamer des réformes.
On notera la couverture assez « nuancée » des manifestations par Al-Jazira, qui a joué un rôle décisif pour répercuter les soulèvements égyptien et tunisien et qui relaie les événements de Libye sans cacher son soutien à l’opposition au colonel Kadhafi : l’émir du Qatar, sponsor de la chaîne, ne veut pas fâcher ses voisins saoudiens, avec qui il vient de se réconcilier.
C’est le 14 février que se déroule à Bahreïn la première manifestation contre la dynastie régnante et que tombe la première victime ; le lendemain, lors de ses funérailles, un autre jeune homme est tué. Dans un geste spectaculaire, le roi présente alors ses excuses pour les morts, et les opposants occupent pacifiquement la place des Perles. Le 17 février au matin, l’armée donne l’assaut, tuant cinq personnes, dont certaines assassinées dans leur sommeil, sous la tente. Le lendemain, une nouvelle fois, l’armée se retire et, depuis, un calme précaire prévaut, même si les manifestations se poursuivent sans discontinuer. L’histoire singulière de cet archipel de quelques dizaines d’îles situé dans le Golfe, sa proximité avec l’Arabie saoudite et la présence du quartier général de la Ve flotte américaine, expliquent aussi bien la forte politisation de la population que les chassés-croisés de la monarchie et les incertitudes qui demeurent.
Deux siècles de domination perse, avant la colonisation britannique, ont marqué le pays, dont la majorité de la population, contrairement à la famille régnante (Al-Khalifa) sunnite, est chiite. Téhéran prétendit d’ailleurs annexer le Bahreïn lorsque Londres renonça, en 1968, à son protectorat. Mais la consultation organisée en 1970 sous le contrôle de l’ONU aboutit à l’indépendance, proclamée en août 1971. La vie à Bahreïn est marquée par une agitation politique chronique et par la présence de forces d’opposition, de gauche radicale et islamiste puissantes. La dissolution, en 1975, de l’assemblée élue deux ans plus tôt — signe, alors, d’une démocratisation balbutiante — et la découverte d’un « complot iranien » en 1981, puis d’une tentative de coup d’Etat en 1985, renforcent le caractère répressif du régime.
Mais l’opposition, de plus en plus dominée par les islamistes chiites (après la révolution iranienne de 1979), ne désarme pas, encouragée par les difficultés économiques, notamment le chômage, très élevé parmi les chiites, et par les discriminations. Elle réclame le retour à la Constitution de 1973 : des milliers de citoyens signent une pétition en ce sens en octobre 1994. Le mois suivant éclate une véritable intifada, qui se poursuivra plusieurs années. Des dizaines de personnes sont tuées, des centaines arrêtées ; la torture est une pratique courante. En 1999, l’arrivée au pouvoir du nouvel émir cheikh Hamad bin Isa Al-Khalifa, succédant à son père décédé, permet une certaine ouverture démocratique : libération des opposants et retour dans l’émirat des exilés, reconnaissance de l’égalité entre les citoyens, abolition des lois d’exception et restauration de la liberté de parole. Une nouvelle Charte nationale, plébiscitée par référendum en février 2001, scelle la réconciliation nationale, mais celle-ci ne durera pas. L’émir se proclame roi en février 2002. Il promulgue, sans consultation, une Constitution qui institue une Assemblée nationale bicamérale dont quarante membres sont bien élus, mais dont quarante autres sont désignés par le roi. Ce « coup d’Etat constitutionnel » s’accompagne d’une série de décrets royaux limitant le jeu politique. Les principaux mouvements de l’opposition (Al-Wefaq et Al-Waad, de gauche) boycottent les élections législatives d’octobre 2002 auxquelles, pour la première fois, les femmes sont autorisées à voter. Un compromis est finalement trouvé et l’opposition accepte de participer au scrutin du 2 décembre 2006.
C’est au même moment qu’éclate un scandale : des documents divulgués par un fonctionnaire britannique d’origine soudanaise révèlent que le gouvernement octroie la nationalité à des citoyens pakistanais ou arabes à condition qu’ils soient sunnites et que, d’autre part, il finance directement des journalistes et des candidats qui lui sont favorables. Les résultats du scrutin de 2006 ont confirmé l’influence du parti islamiste chiite Al-Wefaq, qui emporte 17 sièges sur 40. Mais la coexistence se révèle ardue et le gouvernement ne prend pas en compte les revendications de l’opposition. La protestation passe à nouveau dans la rue en 2010, et, même si les élections ont lieu au mois de novembre avec la participation d’Al-Wefaq (18 sièges), elles sont boycottées par un mouvement plus radical à l’égard du pouvoir, Al-Haq, et par les organisations de défense des droits humains qui cherchent à dépasser le clivage sunnites/chiites (lire Cortni Kerr et Toby C. Jones, « A Revolution paused in Bahrain », Middle East Report on line (Merip), 23 février). le mécontentement grandit qui débouche sur les manifestations du 14 février, la répression, puis le face-à-face qui se prolonge.
Les acteurs principaux sont d’abord les organisations nationales. Face à la mobilisation, perçue par une partie de la population comme chiite, voire manipulée par l’Iran, les forces favorables à la monarchie ont manifesté de manière massive, regroupant des dizaines de milliers de partisans, le plus souvent sur une base confessionnelle. Il faut toutefois noter que lors des dernières élections, on a assisté à un recul des islamistes sunnites, notamment des Frères musulmans.
Al-Wefaq s’est rallié au mouvement de protestation et ses députés ont décidé de quitter l’assemblée nationale. La libération par les autorités de tous les prisonniers politiques, l’amnistie accordée à Hassan Moushaimaa, un dirigeant du mouvement Al-Haq qui a pu rentrer d’exil (lire « Bahrain unrest : Shia dissident Hassan Mushaima returns », BBC News, 26 février), ont été des premières victoires. Mais elles ont mis aussi en évidence les divergences entre ceux qui réclament l’abolition pure et simple de la monarchie et ceux qui se prononcent pour une monarchie constitutionnelle, ces derniers craignant que des revendications plus radicales ne débouchent sur un affrontement entre sunnites et chiites.
Quant à la famille royale, elle semble divisée et pourra difficilement accepter l’idée même d’une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté d’acheter la population en offrant l’équivalent de 2 650 dollars à chaque famille, après avoir tenté la répression, les options sont limitées. Le roi et le prince héritier sont favorables au dialogue avec les oppositions, tandis que le premier ministre, en poste depuis plus de quarante ans, est partisan d’une ligne plus dure (lire Olivier Da Lage, « Bahreïn : dissensions chez les Al Khalifa ? », 20 février 2011.)
Les événements ne peuvent laisser indifférente l’Arabie saoudite, qui a toujours considéré la stabilité de Bahreïn comme relevant de la sécurité nationale, d’autant que ce petit royaume jouxte sa province est, à majorité chiite et où sont concentrées les richesses pétrolières. Les Saoud pourraient intervenir directement si cela est nécessaire, en utilisant le pont de 20 kilomètres de long qui relie l’île au royaume, pont inauguré en 1986 et dont tous les observateurs avaient noté à l’époque la dimension militaire.
Pour ajouter aux contradictions, Bahreïn abrite le quartier général de la Ve flotte américaine, et Washington a décidé d’y investir un demi-milliard de dollars, d’où les déclarations embarrassées de la Maison Blanche face à la répression. Le 25 février, le chef d’état-major américain, l’amiral Mike Mullen, en visite à Bahreïn, a déclaré que ce pays était un allié crucial (critical long-time ally). Et le président Obama a mis tout son poids dans le soutien à la volonté du roi d’entamer des réformes.
On notera la couverture assez « nuancée » des manifestations par Al-Jazira, qui a joué un rôle décisif pour répercuter les soulèvements égyptien et tunisien et qui relaie les événements de Libye sans cacher son soutien à l’opposition au colonel Kadhafi : l’émir du Qatar, sponsor de la chaîne, ne veut pas fâcher ses voisins saoudiens, avec qui il vient de se réconcilier.