Tuesday, July 24, 2012
Le Paraguay repris en main par l’oligarchie
Friday, July 20, 2012
Le Paraguay repris en main par l’oligarchie
le 19 Juillet 2012
pour http://www.monde-diplomatique.fr
English Version
Malgré le soutien des grands médias privés de la région, le Paraguay se trouve isolé : seuls Taiwan et le Vatican reconnaissent pleinement le nouveau gouvernement. Le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Union des nations d’Amérique du Sud (Unasur) ont écarté le Paraguay de leurs enceintes en attendant le rétablissement de l’ordre démocratique : retour au pouvoir de M. Lugo ou nouvelles élections (prévues en 2013). L’activité commerciale commence à faiblir et la population craint une monté en flèche du prix des produits de base.
Moins de préoccupations du côté de l’oligarchie, qui a désormais repris l’intégralité du contrôle de l’administration. M. Lugo a été remplacé par son vice-président, M. Franco. Membre du Parti libéral radical authentique (PLRA, droite), ce dernier avait œuvré à la création de la vaste alliance ayant remporté le scrutin présidentiel d’avril 2008 ; il s’était néanmoins très vite employé à provoquer la destitution du président (3). Le PLRA a d’ailleurs quitté la coalition au pouvoir juste avant le 22 juin, de façon à se rallier aux autres partis politiques en vue de la destitution du président.
Les bénéficiaires du coup d’Etat se comptent en premier lieu parmi les grands cultivateurs de soja et les multinationales céréalières, dont Monsanto, Cargill et Rio Tinto Alcan : leurs porte-parole plus ou moins officiels font leur entrée au gouvernement :
– Le nouveau ministre de l’économie, M. Manuel Ferreira, conseillait hier l’Union des corporations de la production (UGP), un puissant lobby rassemblant les grands cultivateurs de soja et les représentants de l’agrobusiness.
– Le Service national de santé végétale et de semences (Senave) — qui régule et contrôle l’utilisation de pesticides et le type de semences autorisées dans le pays — sera désormais piloté par M. Jaime Ayala, qui dirige une société distribuant des pesticides (4). La première mesure du nouveau gouvernement a d’ailleurs été d’autoriser les (rares) semences génétiquement modifiées encore interdites sous la présidence Lugo.
– M. Francisco Rivas (PLRA) se maintient au ministère de l’industrie, dont M. Diego Zavala, avocat et lobbyiste de la société canadienne Rio Tinto Alcan a été nommé vice-ministre. Tous deux défendent l’installation de l’entreprise minière au Paraguay, contre l’avis de l’ancien vice-ministre des mines et de l’énergie comme de la Commission nationale des entités hydroélectriques du ministère des affaires étrangères (5), qui dénonçaient la perspective de dégâts environnementaux conséquents et l’aberration du tarif subventionné concédé à la société. Avec l’arrivée au pouvoir, de MM. Rivas, Zavala et Franco — lequel avait accepté l’invitation de la multinationale pour visiter du 24 au 26 octobre 2010 (6) ses installations au Canada —, l’avenir s’annonce plus rose pour Rio Tinto Alcan : le gouvernement semble déterminé à signer un accord dans les plus brefs délais.
Du côté des médias privés locaux, contrôlés par des groupes économiques favorables au coup d’Etat et peu entravés par une conception trop exigeante de la déontologie, les articles interrogeant la destitution de M. Lugo sont rares. Ceux qui font référence à la mobilisation de la population pour exiger son retour, encore plus. Seuls les médias publics — la Télévision publique et la Radio Nationale du Paraguay — les ont évoquées. Ils ont par la suite fait l’objet de pressions, d’actes de censure et plusieurs journalistes ont été licenciés pour des raisons politiques. Fátima Rodríguez, de la télévision publique, a ainsi été remerciée : le nouveau ministre de la Communication, M. Martin Sannemann, lui reprochait son engagement contre le coup d’Etat — n’avait-elle pas été aperçue regardant des photos de manifestants anti-Franco sur son ordinateur ? Les manifestations contre le gouvernement se succèdent néanmoins, et les dirigeants politiques qui ont voté le limogeage de M. Lugo éprouvent les plus grandes difficultés à se déplacer sans faire l’objet de protestations populaires (7).
La répression que craignent les partisans de M. Lugo et tous ceux qui défendent l’ordre démocratique aurait-elle débuté ? Le 16 juillet, lors d’une marche contre les coupes budgétaires que vient d’annoncer le nouveau gouvernement dans les programmes sociaux, la police a chargé contre les manifestants. Une jeune artiste, Irene Codas, a été grièvement blessée. Environ trois cents personnes travaillant dans différents programmes sociaux mis en place par le gouvernement Lugo ont été licenciées. Auprès de la Commission parlementaire de l’Union Européenne présente dans le pays depuis lundi dernier, elles ont dénoncé ce qu’elles considèrent comme une forme de persécution politique (8).
Mais le coup d’Etat aurait-il été possible si le pouvoir de M. Lugo ne s’était pas avéré si faible ? En dépit d’une vingtaine de tentatives de destitution depuis 2008, ses partisans n’avaient pas — semble-t-il — anticipé une telle situation. En outre, M. Lugo n’a jamais souhaité miser sur une alliance forte avec les organisations populaires, les fédérations paysannes ou les partis de gauche. Ceux-ci l’avaient d’ailleurs trouvé plus qu’hésitant dans la mise en œuvre de la réforme agraire, promise lors de la campagne présidentielle de 2008. Mais malgré les critiques adressées au gouvernement de M. Lugo, la gauche, les mouvements sans terres et les groupes progressistes se sont rassemblées au sein du Front de défense de la démocratie (FDD), qui organise la mobilisation au sein du pays et à l’étranger.
Alors que le printemps démocratique de l’Amérique latine — qui semblait avoir mis un terme aux années de dictatures militaires et de régimes néolibéraux et autoritaires — semble menacé, faudra-t-il se contenter de déclarations du type de celle de l’Union européenne, qui exprime timidement sa « préoccupation », bien loin de la condamnation (quasi-) unanime des pays sud-américains (9) ?
Wednesday, May 12, 2010
Travail des enfants, les leçons des pays émergents
De nouvelles statistiques du Bureau international du Travail (BIT) (1) viennent de rappeler que la main-d’œuvre enfantine constitue un volant persistant de la population active mondiale. Depuis la fin des années 1990, le nombre d’enfants de moins de 14 ans « économiquement actifs » oscille entre 176 et 211 millions, auxquels s’ajoutent une centaine de millions d’enfants de 15 à 17 ans. En dépit d’une diminution progressive, le maintien d’une main-d’œuvre enfantine à cette échelle s’explique par les limites rencontrées par les politiques de scolarisation et surtout par la permanence de la pauvreté (2,7 milliards d’humains survivent avec moins de deux dollars par jour, et un milliard souffrent de la faim). Les enfants contribuent à la subsistance de leurs familles, en travaillant aux champs ou en se déployant dans les petits métiers du secteur informel (vendeurs de rue, trieurs de déchets...), leur contribution pouvant atteindre 20 % ou 25 % du revenu familial. Dans les sociétés du Sud, dépourvues de protection sociale, leurs revenus viennent aussi partiellement amortir l’insécurité des familles : la perte d’activité ou le départ du chef de famille, une mauvaise récolte, un désastre naturel, l’arrivée d’une maladie ou tout autre aléa de la vie suffisent à mettre les enfants au travail.
A ce titre, la crise économique risque d’accroître encore le nombre d’enfants actifs, en aggravant la précarité du travail des adultes. Le BIT estime en effet qu’entre 2008 et 2009, 41 à 109 millions d’actifs sont allés rejoindre les rangs des travailleurs vulnérables, dont le nombre avoisine désormais 1,5 milliard de personnes, soit la moitié de la main-d’œuvre mondiale (2).
Déjà en 1998, la crise asiatique avait entraîné une hausse de l’abandon scolaire et du nombre d’enfants actifs aux Philippines, en Thaïlande et en Indonésie, et aujourd’hui, les mêmes effets pourraient se reproduire. « Depuis la faillite de Dubaï, observe par exemple Kailash Satyarthi, qui anime à New Delhi la Coalition d’Asie du Sud contre la servitude des enfants (SACCS), l’Inde et le Pakistan voient revenir des milliers de travailleurs émigrés qui faisaient vivre leurs familles depuis l’émirat. Sans travail, ils devront sûrement solliciter leurs enfants pour contribuer à la survie ».
S’il augmente en temps de crise, le travail des enfants régresse-t-il avec le retour de la prospérité, comme on pourrait le penser ? Pas si simple : les fruits de la croissance restant inégalement distribués. Nulle part l’essor économique des années 2000 n’a pu venir à bout des poches de pauvreté profonde, véritables réservoirs d’enfants travailleurs. Il suffit d’observer les pays où l’économie n’a jamais été aussi prospère, comme en Asie, où plus de 96 millions d’enfants de moins de 14 ans travaillent encore. En réalité, ce phénomène n’est pas tant lié au degré de développement économique qu’au niveau de revenu et de protection sociale de ses habitants : il est même un indicateur assez pertinent du degré de fragilité des individus dans des économies qui se portent bien. Les groupes sociaux contraints de faire travailler leurs enfants sont en effet les exclus permanents de la prospérité, qui cumulent pauvreté, endettement, illettrisme, et absence de protection sociale. C’est-à-dire des centaines de millions d’urbains sans travail, de paysans sans terres échoués dans les bidonvilles, de travailleurs pauvres, de migrants intérieurs aux enfants déscolarisés, de familles monoparentales et de membres de minorités ethniques ou de basses castes. La vulnérabilité de ces populations ouvre la voie à toutes formes d’exploitation, dont certaines sont extrêmes (servitude des enfants pour dette, trafics). En Inde, par exemple, les planteurs de coton de la prospère région du Gujarat envoient des intermédiaires recruter des enfants dans les zones tribales pauvres du Rajasthan voisin. Au Nicaragua et au Honduras, ce sont aussi les enfants des minorités indigènes qui sont exploités dans les mines, rappelle le BIT, tandis qu’au Brésil, les routes du trafic de main-d’œuvre enfantine passent par la région pauvre du Nordeste.
En fait, le travail des enfants se maintient surtout parce qu’il se montre utile dans un modèle économique fondé sur la compression des coûts du travail. Le très faible niveau de salaire des enfants – environ la moitié de celui des adultes, et toujours inférieur aux minima légaux – encourage les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre à les utiliser dans les fabrications manuelles peu qualifiées (artisanat, briqueteries, chantiers...). L’emploi de cette main-d’œuvre flexible, docile et de faible coût, reflète d’ailleurs de manière significative le profil des économies nationales. Au XIXe siècle en Europe, il a accompagné la révolution industrielle dans le secteur minier et textile. C’est encore vrai aujourd’hui : dans les pays exportateurs, la main-d’œuvre enfantine est chroniquement présente dans la production de matières premières vitales, comme les cultures de rente (cacao, tabac, coton, café...) en Afrique, Amérique latine et Asie, ainsi que dans l’extraction de pierres et de minerais. Selon le BIT, plus d’un million d’enfants de 5 à 17 ans (fillettes comprises) travaillent dans des mines d’or, de sel, de charbon, de gypse ou de diamants.
Dans l’Asie émergente, ce type de travail épouse les récentes évolutions économiques, en opérant un glissement partiel de l’agriculture vers l’industrie, ainsi que de l’industrie vers le tertiaire. Les secteurs miniers et manufacturiers (textile, petite mécanique, verreries, briqueteries...) utilisent ainsi une part avérée d’ouvriers de moins de 14 ans, souvent venus des campagnes pauvres, en Inde et au Bangladesh, et de moins de 16 ans au Cambodge ou en Chine ; même le fabricant d’ordinateurs Apple a reconnu, en février 2010, la présence de quelques ouvriers de 15 ans dans ses unités d’assemblage asiatiques.
Le petit domestique,
un signe affiché d’accès à la prospérité
La migration vers le tertiaire, elle, s’observe notamment dans les sociétés dotées d’une forte tradition de domesticité (Brésil, Costa Rica, Indonésie, Sri Lanka, Philippines, Thaïlande, Inde...). Le recrutement d’enfants domestiques a en effet été dopé par l’expansion des classes moyennes et leur demande accrue en services. En Inde, par exemple, engager un petit domestique est un status symbol, un signe affiché d’accès à la prospérité. En mars 2010, le ministre indien du travail, Mallikarjun Kharge, a d’ailleurs indiqué, sur la base de chiffres partiels, que le pays comptait désormais moins d’enfants actifs dans les ateliers de tapis que dans les cuisines, récurant les casseroles des nouveaux consommateurs indiens. Chez les particuliers comme dans la restauration. Le développement des zones industrielles et commerciales urbaines a entraîné la multiplication des snacks-bars de bord de rue (dhabas) qui assurent la restauration rapide des employés. Et la plupart de ces dhabas emploient des enfants, pour certains très jeunes, qui préparent le thé et lavent la vaisselle.
Loin de disparaître avec la prospérité, l’emploi d’enfants se redéploie en périphérie des nouveaux secteurs de croissance. Dopé par leur activité, il les accompagne en amont (production de matières premières) et en aval (services aux particuliers, réparation automobile, tri des déchets industriels (3), tout en restant présent dans les tâches de sous-traitance (broderie à domicile, assemblage de petites pièces artisanales et industrielles...).
Il ne s’agit donc pas d’un phénomène archaïque, isolé du reste du marché du travail : avec 60 % des enfants actifs présents dans l’agriculture, 25,6 % dans les services et 7 % dans l’industrie, il constitue bien un rouage de l’économie et contribue à la richesse des pays concernés, même si c’est de manière marginale et si aucun indicateur n’est actuellement susceptible de le mesurer.
Ce qui revient aussi à dire qu’en dépit des chartes éthiques et autres engagements des fabricants et des distributeurs, le consommateur mondial achète tous les jours des produits où des mains d’enfants sont intervenues à un stade ou un autre de la fabrication (cacao, thé, sucre, fruits, tabac, coton…).
Les leçons de l’expérience brésilienne
Si, jusqu’alors, la pléthore de lois prohibant le travail des enfants n’a pas réussi à le faire disparaître, c’est qu’il ne suffit pas de l’interdire : encore faut-il briser les mécanismes qui le sous-tendent. Et dans ce domaine, les leçons venues des pays émergents se révèlent instructives.
Dans ces pays (Brésil, Inde, Mexique, Chine...), ni la croissance élevée ni le recul relatif de la pauvreté n’ont mécaniquement fait décroître le travail des enfants. Seul un élément a fait la différence : la mise en place de politiques ciblant la vulnérabilité des plus pauvres.
Le gouvernement brésilien a lancé en 2003 des bourses aux familles démunies, les Bolsa Familia, qui bénéficient aujourd’hui à 46 millions de Brésiliens pauvres (près d’un quart de la population). De 2003 à 2006, le nombre d’habitants vivant avec moins d’un dollar par jour a baissé d’environ 20 %, et l’indice des inégalités de revenus a diminué de 4,7 % entre 1995 et 2004, selon le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) (4). En parallèle, le Brésil, qui avait déjà lancé au milieu des années 1990 des programmes ciblés de retrait des enfants du travail et rehaussé l’âge minimal au travail à 16 ans, a fortement investi dans l’éducation de base, permettant aux inscriptions dans le secondaire d’augmenter de 10 % par an depuis 1995 – un niveau inégalé ailleurs (5). Au final, le nombre de petits travailleurs de 5 à 17 ans est passé de 8,2 millions à 5 millions entre 1992 et 2004, selon le BIT.
Au Mexique, un programme comparable, Oportunidades, bénéficie à 25 millions de personnes à faible revenu (un quart de la population) qui, en contrepartie d’allocations, doivent garantir la scolarisation et le suivi sanitaire de leurs enfants. Comme au Brésil, Oportunidades a contribué à réduire de 5 % les inégalités sociales et à faire reculer le travail infantile. En réalité, ces programmes ne sont que les habits neufs d’un système qui, au siècle dernier, avait signé la fin du travail infantile en Europe : des allocations liées à l’assiduité scolaire et qui améliorent les très bas revenus, rendant inutile l’apport financier de leurs enfants.
Dans la région, des expériences similaires ont été lancées au Chili (Chile Solidario), au Nicaragua (Red de Protección Social) ou en Colombie (Familias en acción), avec là encore, selon la Banque Mondiale, une hausse de la fréquentation scolaire de plus de 30 %.
De son côté, l’Inde a mis sur pied en 2006 un programme de lutte contre la pauvreté rurale. Le National Rural Employment Guarantee Act (NREGA) garantit aux familles démunies une activité rémunérée allant jusqu’à 100 jours par an dans des travaux d’intérêt public et un salaire minimum. En dépit d’une mise en route inégale, ce programme a, en quatre ans, amélioré les revenus de 52 millions de familles rurales, selon le ministère indien du développement rural. Son impact sur le travail des enfants et leur scolarisation n’est toutefois pas encore mesurable, car à la différence du Brésil, ce supplément de revenu n’est pas conditionné à l’assiduité scolaire. Par ailleurs, l’Inde n’a pas montré le même investissement que le Brésil envers le réseau d’écoles publiques. Mais le NREGA affiche des effets prometteurs : il a touché plus de femmes que prévu (elles sont 48 % des bénéficiaires, notamment des mères seules) et il bénéficie aux basses castes (scheduled castes, 30 %) et aux populations tribales (scheduled tribes, 20 %), catégories fournissant de forts effectifs d’enfants travailleurs. Ce programme semble également avoir limité l’exode saisonnier des sans-terre, qui abonde les flux de main d’œuvre enfantine exploitable. New Delhi a aussi créé diverses assurances pour faire face à la vieillesse (Indira Gandhi National Old Age Pension Scheme), au handicap et au décès du chef de famille (Sanjay Gandhi Niradhar Yojna, Aam Admi Beema Yojna, National Family Benefit Scheme...). La mise en œuvre de ces allocations, très variable selon les régions, témoigne de la volonté de l’Etat de prendre en compte une vulnérabilité qui fait jouer aux enfants le rôle d’assurance sociale.
De son coté, l’Afrique du Sud réfléchit à un programme analogue, tandis que la Chine a l’intention d’améliorer le revenu des familles rurales et de compléter le système de sécurité sociale et de retraite.
Changement de perspectives
pour les pays du Sud
Bien sûr, ces suppléments de revenus ne changent pas radicalement la vie des plus pauvres et encore moins les structures sociales des pays concernés. Mais ils jettent indéniablement les bases d’un système de protection sociale. Ils montrent aussi que dans les pays émergents, l’enrichissement visible de la classe moyenne n’est socialement – et politiquement – pas tenable si rien n’est fait en faveur de ceux qui regardent passer le train de la prospérité sans pouvoir y monter. L’expérience du Brésil montre qu’un pays du Sud peut développer avec pertinence ses propres stratégies ; ce dernier a d’ailleurs lancé une coopération Sud-Sud pour le travail des enfants, en partenariat avec le BIT. Dans les instances internationales, cette expérience a fait évoluer le regard porté sur les services publics, en rappelant les bénéfices de bons équipements éducatifs. Au final, son mérite est d’avoir mis en évidence la nocivité du laissez-faire économique et d’avoir réhabilité le rôle de l’Etat social.
Pour autant, tout n’est pas réglé, ni au Brésil ni dans les très inégalitaires sociétés d’Amérique latine et d’Asie, qui continuent d’abriter des millions d’enfants actifs. Et l’on objectera, avec raison, que si les pays émergents ont les moyens de prendre des mesures en faveur de plusieurs dizaines de millions d’habitants, tel n’est pas le cas des pays moins avancés, comme ceux d’Afrique subsaharienne – seule région au monde où la main-d’œuvre enfantine continue d’augmenter (58,2 millions de moins de 14 ans en 2008, contre 49,3 millions en 2004, selon le BIT) ; plus d’un d’enfant sur quatre (28,4 %) travaille. Des micro-expériences de revenu minimum menées en Namibie et au Malawi ont montré, elles aussi, une amélioration des taux de scolarité. Les pays pauvres, qui dépendent de l’aide au développement et des transferts de fonds des migrants, ne disposent pas des budgets nécessaires pour lancer de telles politiques à grande échelle.
Mais tel n’est pas le cas de leurs bailleurs de fonds. Et ces institutions internationales, qui leur ont si longtemps imposé une amputation des dépenses sociales, avec de lourdes conséquences sur le niveau de pauvreté et le délabrement de l’école publique, seraient aujourd’hui bien inspirées de se raviser et d’aider massivement ces pays à emprunter la voie brésilienne. Ce n’est qu’à ce prix que la fin du travail des enfants cessera d’être une utopie hors de portée des pays du Sud, pour devenir, à terme, un objectif raisonnablement envisageable.
(1) Accélérer l’action contre le travail des enfants, BIT, Genève, 8 mai 2010.
(2) « Hausse de l’emploi vulnérable et de la pauvreté en 2009. Interview avec le chef de l’unité des tendances de l’emploi du BIT », BIT, Genève, 26 janvier 2010.
(3) L’essor des nouvelles technologies et de l’automobile en Asie a élargi les activités des petits travailleurs des décharges : en plus des métaux et des chiffons, il trient désormais les déchets informatiques et les pièces de voitures.
(4) Source : « Evaluating the impact of Brazil’s Bolsa familia : cash transfer programmes in comparative perspectives » (PDF), IPC - UNDP, Brasilia, 2007.
(5) « La fin du travail des enfants : un objectif à notre portée » (PDF), BIT, Genève, 2006.
Travail des enfants, les leçons des pays émergents
De nouvelles statistiques du Bureau international du Travail (BIT) (1) viennent de rappeler que la main-d’œuvre enfantine constitue un volant persistant de la population active mondiale. Depuis la fin des années 1990, le nombre d’enfants de moins de 14 ans « économiquement actifs » oscille entre 176 et 211 millions, auxquels s’ajoutent une centaine de millions d’enfants de 15 à 17 ans. En dépit d’une diminution progressive, le maintien d’une main-d’œuvre enfantine à cette échelle s’explique par les limites rencontrées par les politiques de scolarisation et surtout par la permanence de la pauvreté (2,7 milliards d’humains survivent avec moins de deux dollars par jour, et un milliard souffrent de la faim). Les enfants contribuent à la subsistance de leurs familles, en travaillant aux champs ou en se déployant dans les petits métiers du secteur informel (vendeurs de rue, trieurs de déchets...), leur contribution pouvant atteindre 20 % ou 25 % du revenu familial. Dans les sociétés du Sud, dépourvues de protection sociale, leurs revenus viennent aussi partiellement amortir l’insécurité des familles : la perte d’activité ou le départ du chef de famille, une mauvaise récolte, un désastre naturel, l’arrivée d’une maladie ou tout autre aléa de la vie suffisent à mettre les enfants au travail.
A ce titre, la crise économique risque d’accroître encore le nombre d’enfants actifs, en aggravant la précarité du travail des adultes. Le BIT estime en effet qu’entre 2008 et 2009, 41 à 109 millions d’actifs sont allés rejoindre les rangs des travailleurs vulnérables, dont le nombre avoisine désormais 1,5 milliard de personnes, soit la moitié de la main-d’œuvre mondiale (2).
Déjà en 1998, la crise asiatique avait entraîné une hausse de l’abandon scolaire et du nombre d’enfants actifs aux Philippines, en Thaïlande et en Indonésie, et aujourd’hui, les mêmes effets pourraient se reproduire. « Depuis la faillite de Dubaï, observe par exemple Kailash Satyarthi, qui anime à New Delhi la Coalition d’Asie du Sud contre la servitude des enfants (SACCS), l’Inde et le Pakistan voient revenir des milliers de travailleurs émigrés qui faisaient vivre leurs familles depuis l’émirat. Sans travail, ils devront sûrement solliciter leurs enfants pour contribuer à la survie ».
S’il augmente en temps de crise, le travail des enfants régresse-t-il avec le retour de la prospérité, comme on pourrait le penser ? Pas si simple : les fruits de la croissance restant inégalement distribués. Nulle part l’essor économique des années 2000 n’a pu venir à bout des poches de pauvreté profonde, véritables réservoirs d’enfants travailleurs. Il suffit d’observer les pays où l’économie n’a jamais été aussi prospère, comme en Asie, où plus de 96 millions d’enfants de moins de 14 ans travaillent encore. En réalité, ce phénomène n’est pas tant lié au degré de développement économique qu’au niveau de revenu et de protection sociale de ses habitants : il est même un indicateur assez pertinent du degré de fragilité des individus dans des économies qui se portent bien. Les groupes sociaux contraints de faire travailler leurs enfants sont en effet les exclus permanents de la prospérité, qui cumulent pauvreté, endettement, illettrisme, et absence de protection sociale. C’est-à-dire des centaines de millions d’urbains sans travail, de paysans sans terres échoués dans les bidonvilles, de travailleurs pauvres, de migrants intérieurs aux enfants déscolarisés, de familles monoparentales et de membres de minorités ethniques ou de basses castes. La vulnérabilité de ces populations ouvre la voie à toutes formes d’exploitation, dont certaines sont extrêmes (servitude des enfants pour dette, trafics). En Inde, par exemple, les planteurs de coton de la prospère région du Gujarat envoient des intermédiaires recruter des enfants dans les zones tribales pauvres du Rajasthan voisin. Au Nicaragua et au Honduras, ce sont aussi les enfants des minorités indigènes qui sont exploités dans les mines, rappelle le BIT, tandis qu’au Brésil, les routes du trafic de main-d’œuvre enfantine passent par la région pauvre du Nordeste.
En fait, le travail des enfants se maintient surtout parce qu’il se montre utile dans un modèle économique fondé sur la compression des coûts du travail. Le très faible niveau de salaire des enfants – environ la moitié de celui des adultes, et toujours inférieur aux minima légaux – encourage les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre à les utiliser dans les fabrications manuelles peu qualifiées (artisanat, briqueteries, chantiers...). L’emploi de cette main-d’œuvre flexible, docile et de faible coût, reflète d’ailleurs de manière significative le profil des économies nationales. Au XIXe siècle en Europe, il a accompagné la révolution industrielle dans le secteur minier et textile. C’est encore vrai aujourd’hui : dans les pays exportateurs, la main-d’œuvre enfantine est chroniquement présente dans la production de matières premières vitales, comme les cultures de rente (cacao, tabac, coton, café...) en Afrique, Amérique latine et Asie, ainsi que dans l’extraction de pierres et de minerais. Selon le BIT, plus d’un million d’enfants de 5 à 17 ans (fillettes comprises) travaillent dans des mines d’or, de sel, de charbon, de gypse ou de diamants.
Dans l’Asie émergente, ce type de travail épouse les récentes évolutions économiques, en opérant un glissement partiel de l’agriculture vers l’industrie, ainsi que de l’industrie vers le tertiaire. Les secteurs miniers et manufacturiers (textile, petite mécanique, verreries, briqueteries...) utilisent ainsi une part avérée d’ouvriers de moins de 14 ans, souvent venus des campagnes pauvres, en Inde et au Bangladesh, et de moins de 16 ans au Cambodge ou en Chine ; même le fabricant d’ordinateurs Apple a reconnu, en février 2010, la présence de quelques ouvriers de 15 ans dans ses unités d’assemblage asiatiques.
Le petit domestique,
un signe affiché d’accès à la prospérité
La migration vers le tertiaire, elle, s’observe notamment dans les sociétés dotées d’une forte tradition de domesticité (Brésil, Costa Rica, Indonésie, Sri Lanka, Philippines, Thaïlande, Inde...). Le recrutement d’enfants domestiques a en effet été dopé par l’expansion des classes moyennes et leur demande accrue en services. En Inde, par exemple, engager un petit domestique est un status symbol, un signe affiché d’accès à la prospérité. En mars 2010, le ministre indien du travail, Mallikarjun Kharge, a d’ailleurs indiqué, sur la base de chiffres partiels, que le pays comptait désormais moins d’enfants actifs dans les ateliers de tapis que dans les cuisines, récurant les casseroles des nouveaux consommateurs indiens. Chez les particuliers comme dans la restauration. Le développement des zones industrielles et commerciales urbaines a entraîné la multiplication des snacks-bars de bord de rue (dhabas) qui assurent la restauration rapide des employés. Et la plupart de ces dhabas emploient des enfants, pour certains très jeunes, qui préparent le thé et lavent la vaisselle.
Loin de disparaître avec la prospérité, l’emploi d’enfants se redéploie en périphérie des nouveaux secteurs de croissance. Dopé par leur activité, il les accompagne en amont (production de matières premières) et en aval (services aux particuliers, réparation automobile, tri des déchets industriels (3), tout en restant présent dans les tâches de sous-traitance (broderie à domicile, assemblage de petites pièces artisanales et industrielles...).
Il ne s’agit donc pas d’un phénomène archaïque, isolé du reste du marché du travail : avec 60 % des enfants actifs présents dans l’agriculture, 25,6 % dans les services et 7 % dans l’industrie, il constitue bien un rouage de l’économie et contribue à la richesse des pays concernés, même si c’est de manière marginale et si aucun indicateur n’est actuellement susceptible de le mesurer.
Ce qui revient aussi à dire qu’en dépit des chartes éthiques et autres engagements des fabricants et des distributeurs, le consommateur mondial achète tous les jours des produits où des mains d’enfants sont intervenues à un stade ou un autre de la fabrication (cacao, thé, sucre, fruits, tabac, coton…).
Les leçons de l’expérience brésilienne
Si, jusqu’alors, la pléthore de lois prohibant le travail des enfants n’a pas réussi à le faire disparaître, c’est qu’il ne suffit pas de l’interdire : encore faut-il briser les mécanismes qui le sous-tendent. Et dans ce domaine, les leçons venues des pays émergents se révèlent instructives.
Dans ces pays (Brésil, Inde, Mexique, Chine...), ni la croissance élevée ni le recul relatif de la pauvreté n’ont mécaniquement fait décroître le travail des enfants. Seul un élément a fait la différence : la mise en place de politiques ciblant la vulnérabilité des plus pauvres.
Le gouvernement brésilien a lancé en 2003 des bourses aux familles démunies, les Bolsa Familia, qui bénéficient aujourd’hui à 46 millions de Brésiliens pauvres (près d’un quart de la population). De 2003 à 2006, le nombre d’habitants vivant avec moins d’un dollar par jour a baissé d’environ 20 %, et l’indice des inégalités de revenus a diminué de 4,7 % entre 1995 et 2004, selon le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) (4). En parallèle, le Brésil, qui avait déjà lancé au milieu des années 1990 des programmes ciblés de retrait des enfants du travail et rehaussé l’âge minimal au travail à 16 ans, a fortement investi dans l’éducation de base, permettant aux inscriptions dans le secondaire d’augmenter de 10 % par an depuis 1995 – un niveau inégalé ailleurs (5). Au final, le nombre de petits travailleurs de 5 à 17 ans est passé de 8,2 millions à 5 millions entre 1992 et 2004, selon le BIT.
Au Mexique, un programme comparable, Oportunidades, bénéficie à 25 millions de personnes à faible revenu (un quart de la population) qui, en contrepartie d’allocations, doivent garantir la scolarisation et le suivi sanitaire de leurs enfants. Comme au Brésil, Oportunidades a contribué à réduire de 5 % les inégalités sociales et à faire reculer le travail infantile. En réalité, ces programmes ne sont que les habits neufs d’un système qui, au siècle dernier, avait signé la fin du travail infantile en Europe : des allocations liées à l’assiduité scolaire et qui améliorent les très bas revenus, rendant inutile l’apport financier de leurs enfants.
Dans la région, des expériences similaires ont été lancées au Chili (Chile Solidario), au Nicaragua (Red de Protección Social) ou en Colombie (Familias en acción), avec là encore, selon la Banque Mondiale, une hausse de la fréquentation scolaire de plus de 30 %.
De son côté, l’Inde a mis sur pied en 2006 un programme de lutte contre la pauvreté rurale. Le National Rural Employment Guarantee Act (NREGA) garantit aux familles démunies une activité rémunérée allant jusqu’à 100 jours par an dans des travaux d’intérêt public et un salaire minimum. En dépit d’une mise en route inégale, ce programme a, en quatre ans, amélioré les revenus de 52 millions de familles rurales, selon le ministère indien du développement rural. Son impact sur le travail des enfants et leur scolarisation n’est toutefois pas encore mesurable, car à la différence du Brésil, ce supplément de revenu n’est pas conditionné à l’assiduité scolaire. Par ailleurs, l’Inde n’a pas montré le même investissement que le Brésil envers le réseau d’écoles publiques. Mais le NREGA affiche des effets prometteurs : il a touché plus de femmes que prévu (elles sont 48 % des bénéficiaires, notamment des mères seules) et il bénéficie aux basses castes (scheduled castes, 30 %) et aux populations tribales (scheduled tribes, 20 %), catégories fournissant de forts effectifs d’enfants travailleurs. Ce programme semble également avoir limité l’exode saisonnier des sans-terre, qui abonde les flux de main d’œuvre enfantine exploitable. New Delhi a aussi créé diverses assurances pour faire face à la vieillesse (Indira Gandhi National Old Age Pension Scheme), au handicap et au décès du chef de famille (Sanjay Gandhi Niradhar Yojna, Aam Admi Beema Yojna, National Family Benefit Scheme...). La mise en œuvre de ces allocations, très variable selon les régions, témoigne de la volonté de l’Etat de prendre en compte une vulnérabilité qui fait jouer aux enfants le rôle d’assurance sociale.
De son coté, l’Afrique du Sud réfléchit à un programme analogue, tandis que la Chine a l’intention d’améliorer le revenu des familles rurales et de compléter le système de sécurité sociale et de retraite.
Changement de perspectives
pour les pays du Sud
Bien sûr, ces suppléments de revenus ne changent pas radicalement la vie des plus pauvres et encore moins les structures sociales des pays concernés. Mais ils jettent indéniablement les bases d’un système de protection sociale. Ils montrent aussi que dans les pays émergents, l’enrichissement visible de la classe moyenne n’est socialement – et politiquement – pas tenable si rien n’est fait en faveur de ceux qui regardent passer le train de la prospérité sans pouvoir y monter. L’expérience du Brésil montre qu’un pays du Sud peut développer avec pertinence ses propres stratégies ; ce dernier a d’ailleurs lancé une coopération Sud-Sud pour le travail des enfants, en partenariat avec le BIT. Dans les instances internationales, cette expérience a fait évoluer le regard porté sur les services publics, en rappelant les bénéfices de bons équipements éducatifs. Au final, son mérite est d’avoir mis en évidence la nocivité du laissez-faire économique et d’avoir réhabilité le rôle de l’Etat social.
Pour autant, tout n’est pas réglé, ni au Brésil ni dans les très inégalitaires sociétés d’Amérique latine et d’Asie, qui continuent d’abriter des millions d’enfants actifs. Et l’on objectera, avec raison, que si les pays émergents ont les moyens de prendre des mesures en faveur de plusieurs dizaines de millions d’habitants, tel n’est pas le cas des pays moins avancés, comme ceux d’Afrique subsaharienne – seule région au monde où la main-d’œuvre enfantine continue d’augmenter (58,2 millions de moins de 14 ans en 2008, contre 49,3 millions en 2004, selon le BIT) ; plus d’un d’enfant sur quatre (28,4 %) travaille. Des micro-expériences de revenu minimum menées en Namibie et au Malawi ont montré, elles aussi, une amélioration des taux de scolarité. Les pays pauvres, qui dépendent de l’aide au développement et des transferts de fonds des migrants, ne disposent pas des budgets nécessaires pour lancer de telles politiques à grande échelle.
Mais tel n’est pas le cas de leurs bailleurs de fonds. Et ces institutions internationales, qui leur ont si longtemps imposé une amputation des dépenses sociales, avec de lourdes conséquences sur le niveau de pauvreté et le délabrement de l’école publique, seraient aujourd’hui bien inspirées de se raviser et d’aider massivement ces pays à emprunter la voie brésilienne. Ce n’est qu’à ce prix que la fin du travail des enfants cessera d’être une utopie hors de portée des pays du Sud, pour devenir, à terme, un objectif raisonnablement envisageable.
(1) Accélérer l’action contre le travail des enfants, BIT, Genève, 8 mai 2010.
(2) « Hausse de l’emploi vulnérable et de la pauvreté en 2009. Interview avec le chef de l’unité des tendances de l’emploi du BIT », BIT, Genève, 26 janvier 2010.
(3) L’essor des nouvelles technologies et de l’automobile en Asie a élargi les activités des petits travailleurs des décharges : en plus des métaux et des chiffons, il trient désormais les déchets informatiques et les pièces de voitures.
(4) Source : « Evaluating the impact of Brazil’s Bolsa familia : cash transfer programmes in comparative perspectives » (PDF), IPC - UNDP, Brasilia, 2007.
(5) « La fin du travail des enfants : un objectif à notre portée » (PDF), BIT, Genève, 2006.
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