Saturday, September 20, 2008

Les Occidentaux dénient que la Géorgie a procédé à un génocide

Entretien avec l’ambassadeur de Russie à l’ONU
Valery Loshchinin : les Occidentaux dénient que la Géorgie a procédé à un génocide

Alors que, sans aucun esprit critique, les médias occidentaux véhiculent une vision unilatérale du conflit géorgien, Horizons et débats a interrogé l’ambassadeur de Russie aux Nations Unies. Ses réponses font apparaître un point de vue cohérent et mesuré, aux antipodes de la prétendue « volonté de puissance retrouvée » que les médias occidentaux prêtent à la Russie.


2 septembre 2008

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Des Ossètes se terrent dans la cave de leur immeuble pour échapper aux bombardements géorgiens (Photo : Ria-Novosti)

Horizons et débats : La première question concerne le conflit de Géorgie. Nous aimerions savoir ce qui s’y passe, les médias de l’Ouest prétendant que la Russie est coupable. Ce que la Géorgie a fait ne prête pas à discussion. Nous désirons des informations pour nos lecteurs, nous voulons leur dire ce qui se passe réellement dans la région

S. Exc. Valery Loshchinin [1] : Merci de votre visite. Il est important que vous souhaitiez des informations honnêtes. C’est important, si l’on considère ce qui se passe dans les médias occidentaux. Cela suscite quantité de questions sur la liberté de la presse dans les médias occidentaux, car il s’agit d’une campagne de propagande contre la Russie. Cette campagne infondée contrevient aux normes de l’information honnête et indépendante ; elle sape les valeurs démocratiques. La réalité est différente. Vous avez mentionné le conflit entre la Russie et la Géorgie. Il s’agit d’un conflit entre la Géorgie d’une part, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’autre part. Il ne date pas d’hier, mais remonte à plusieurs ­siècles. Il n’a jamais cessé. Durant les seize dernières années, on a observé une paix fragile, caractérisée par la présence de bérets bleus, troupes russes incluses. Que s’est-il passé ? Il s’avère que l’agression militaire géorgienne contre l’Ossétie du Sud a été planifiée et appuyée par quelques pays que je m’en voudrais de nommer. Constatant que le temps passait et s’inspirant du précédent que constituait l’affaire du Kosovo, Saakashvili a décidé de faire une guerre éclair. Il entendait mener l’offensive et occuper la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali. Après quoi il espérait obtenir le soutien des États occidentaux et de l’OTAN, ce qui ne s’est pas réalisé.

Il a commencé sa guerre éclair en recourant à des systèmes de fusées. L’artillerie n’a pas atteint des objectifs précis, mais a couvert de larges secteurs et y a tout détruit, y compris l’infrastructure civile. Elle a frappé son propre peuple, celui de Tskhinvali. L’agression a eu lieu de nuit, quand la ville dormait. Aux dernières nouvelles, qui doivent encore être confirmées, la mort a fauché plus de 2 100 personnes. Ce chiffre est considérable, si l’on songe que la population totale ne dépasse pas 70 000 personnes. L’agression d’une nuit et d’un jour, qui a tué des milliers de pauvres Ossètes, constitue un acte de génocide au sens de la convention de l’ONU sur le génocide de 1948. C’était vraiment un génocide. Un autre problème est qu’ils ont incité les gens à quitter leurs maisons. C’était un exode. Plus de 32 000 personnes ont quitté l’Ossétie du Sud. Elles sont devenues réfugiés ou personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Il s’agit de près de la moitié de la population. On peut parler d’épuration ethnique. C’est absolument clair. Nous savons que nos partenaires ne sont pas charmés de nous entendre parler d’épuration ethnique, de génocide, etc. C’est bien naturel, car ils ont entretenu ce régime, l’ont formé, y ont investi beaucoup d’argent et l’ont présenté comme un modèle de démocratie. Or cette démo­cratie mène une politique d’épuration ethnique. Pour nos partenaires des pays occidentaux, il est absolument inacceptable de reconnaître ce fait. Si ces États considèrent comme normal de montrer du doigt d’autres pays en les accusant d’épurations ethniques, cette accusation ne saurait évidemment s’appliquer à la Géorgie « démocratique ». Ils savent qu’ils ont une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. Cela les a incités à défendre sauvagement le régime de Saakashvili et tout ce qu’a fait ce régime criminel durant l’agression géorgienne, tentant d’inverser les rôles et d’attribuer l’agression à la Russie. Il faut saluer que, dans les pays occidentaux, de plus en plus de gens comprennent mieux ce qui s’est vraiment passé.

Il y a quelques jours, Valery Gergiev, musicien de réputation mondiale et chef d’orchestre de l’opéra Marien de Saint-Petersbourg a donné un concert aux ressortissants de Tskhinvali détruite. Homme intègre, ouvert et indépendant, il jouit d’une grande réputation. Il a comparé la ville à Stalingrad. C’était terrible.

Les Géorgiens ont nommé leur opération « Champ libre », ce qui signifie épuration ethnique, tuerie, destruction de tout. Comme ils ne veulent pas avoir d’Ossètes là, ils veulent en débarrasser le territoire. C’est ce qu’ils entendent par intégrité territoriale. Cette poli­tique est absolument inacceptable, elle est un danger pour chacun d’entre nous. Après quoi certains ont déclaré que les portes de l’OTAN étaient ouvertes à la Géorgie. L’agressivité de Tiblissi rend la situation très dangereuse, car elle pourrait impliquer l’OTAN dans des provocations extrêmement dangereuses. À rappeler que lorsque, à maintes reprises, Saakashvili a requis l’aide de l’OTAN, il a tenté d’impliquer les pays occidentaux dans ces actions militaires. Pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé s’ils y avaient donné suite. Ce ne serait pas quelques simples heurts entre la Russie, la Géorgie et l’Ossétie du Sud : la Russie serait en conflit avec des pays occidentaux. C’est terrible.

Horizons et débats : Observant la vie politique ces derniers mois, nous avons constaté de constantes petites attaques verbales contre la Russie. Lors de l’élection de Medvedev, les journaux occidentaux se sont montrés particulièrement virulents contre la Russie. Finalement, ce conflit a éclaté. Pensez-vous qu’il y a un plan stratégique contre la Russie pour la garder hors d’Europe pour essayer de la contrôler ? Autre question : qu’en est-il des bases de missiles en Pologne ? Maintenant, ils ont signé le traité. Pensez-vous que le plan consistait à faire la guerre à l’Ossétie du Sud, puis à rapprocher les autres pays de l’OTAN et à faire en sorte qu’ils concluent le traité et soutiennent la politique des États-Unis ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Ce qu’il nous faut comprendre : la Géorgie s’apprête à se rapprocher de l’Europe, mais surtout des États-Unis. Pourquoi pas ? Mais le régime actuel de Tiblissi croit qu’il pourrait accélérer ce processus en ayant de mauvaises relations avec la Russie. Cette méthode est absolument fausse. Elle est fausse parce que toute solution des problèmes de la Géorgie passe par une solide base de relations amicales avec la Russie.

Comme vous le savez, des troubles entre la Géorgie ainsi que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont eu lieu à l’époque de l’Union soviétique, mais les gens ont vécu néanmoins ensemble. Pourquoi ? Parce qu’ils vivaient dans ce grand pays et y étaient protégés. Mais quand l’Union soviétique s’est désintégrée, l’Abkhazie et l’Ossétie sont devenues une partie de la Géorgie, pour ainsi dire face à face avec Tiblissi. Ayant quelque expérience des relations avec les Géorgiens, elles ont décidé de se protéger en proclamant immédiatement leur indépendance de la Géorgie. La première étape vers une solution des pro­blèmes est d’avoir de bonnes relations avec la Russie. À la Géorgie de jouer.

À propos de la Pologne : Mon impression personnelle est que la Pologne et les États-Unis auraient signé ce traité, que cette agression ait lieu ou non. Peut-être pas maintenant, un peu plus tard. De manière générale, tout avait été préparé à cet égard. Cependant, vous avez tout à fait raison de dire que l’action n’est pas dirigée contre la Corée du Nord, ni contre l’Iran, mais contre la Russie. Et nous l’avons répété souvent à nos partenaires états-uniens, durant les négociations. Ils nous ont rétorqué qu’ils couvriraient certes notre territoire, mais que cela ne signifiait pas qu’ils feraient quelque chose de faux ou d’hostile à la Russie. Nous ne sommes pas naïfs : la réalité est absolument différente.

Horizons et débats : Quel est le rôle de l’Allemagne dans ce conflit ?

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Ambassadeur Valery Loshchinin

S. Exc. Valery Loshchinin : On connaît certaines activités de l’Allemagne à propos de la Géorgie. Tout d’abord parce que l’Allemagne fait partie du « Groupe des amis de la Géorgie ». C’est un groupe mis sur pied par le Secrétaire général des Nations Unies, qui comprend l’Allemagne, la France, la Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Nous nous rencontrons de temps en temps ici à Genève. Je dois dire que l’Allemagne a toujours aidé à promouvoir des initiatives, des idées. Il existe un « Plan Boden ». L’ambassadeur Boden était le représentant du Secrétaire général. C’est un Alle­mand très honnête, impartial, un sage diplomate. Son plan en vue du règlement du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie a été discuté longtemps. Mais après la récente agression, il n’existe plus en tant que base de négociations.

Ce qui est très important maintenant, c’est de ne pas encourager d’autres pays à vouloir accueillir la Géorgie dans l’OTAN. Ce ne serait pas seulement un défi mais un acte hostile à l’égard de la Russie. En même temps, pour être franc, du point de vue de la sécurité de la Géorgie, c’est sans importance. Cela signifie simplement que l’OTAN voudrait se rapprocher de la frontière russe, ce qui peut être interprété comme le fait que l’Alliance considère la Russie comme un opposant potentiel, sinon comme un ennemi. Mais il est nécessaire d’établir de meilleures relations avec la Russie. Il est temps de s’asseoir ensemble à une table et de dresser l’inventaire des questions afin de mieux se comprendre et de prendre des mesures visant à rendre nos relations plus coopératives. La diplomatie russe a toujours considéré les relations internationales de façon ouverte et constructive et est prête à étudier à fond toute question d’intérêt mutuel avec ses partenaires occidentaux. Profitons de l’occasion pour nous réunir à nouveau afin d’écarter tous les éléments qui nous divisent, d’améliorer le sort de nos peuples et de contribuer à la paix et à la sécurité.

Horizons et débats : Quel rôle jouent les États-Unis à cet égard ?

S. Exc. Valery Loshchinin : L’ambassadeur des États-Unis a donné hier une interview à Moscou au célèbre journal Kommersant. Il a déclaré que la Russie avait le droit de réagir aux opérations géorgiennes. Cette déclaration devrait être interprétée comme confirmant que les États-Unis savent qui est l’agresseur et qu’ils ne tiennent pas à entrer dans le conflit.

Horizons et débats : Que peuvent faire l’Union européenne et les pays européens pour mettre un terme à ce conflit et se rapprocher de la Russie et d’autres pays ? Que doit être la politique européenne en faveur de la paix dans le monde ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Tout d’abord, nous devrions appliquer le document en six points approuvé par les présidents Medvedev et Sarkozy qui se trouve sur la table du Conseil de sécurité. Le principe essentiel de ce document est de stopper immédiatement toute action militaire. L’Union européenne approuve ce plan. Certains membres du Conseil de sécurité sont sceptiques, mais il est important de le faire adopter par le Conseil de sécurité afin de faciliter sa mise en œuvre. La Russie a commencé son retrait graduel, qui a été largement couvert par les médias. Cependant nous allons conserver des unités de maintien de la paix à l’intérieur de la zone de sécurité en Ossétie du Sud, car elles sont nécessaires pour garantir la sécurité des habitants.

Si le plan est accepté et qu’en particulier le principe du non recours à la force est appliqué, tous les autres problèmes seront résolus beaucoup plus facilement.

Horizons et débats : À votre avis, quel sera le statut final à la fin des débats ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Il est très difficile de le dire de manière absolue. Vous savez qu’hier, quelque 60 000 Abkhazes (plus du tiers de la population totale) se sont rassemblés au centre de Soukhoumi, capitale de l’Abkhazie, pour déclarer leur indépendance. Un événement similaire a eu lieu à Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud. Le peuple a demandé que soit reconnue l’indépendance de la province, non seulement par rapport à la Russie mais aux autres pays. Lundi prochain, des réunions auront lieu à la Douma, à Moscou, ainsi qu’au Conseil de la Fédération de Russie pour aborder cette question. Mon expérience me dit que notre Parlement réagira positivement à ces demandes. Cela ne signifie cependant pas que la reconnaissance par le gouvernement aura lieu immédiatement. Mais comme l’a dit avec raison notre ministre des Affaires étrangères, tout dépend de ce que fera la Géorgie. Or Saakachvili ne tient pas ses promesses et a parlé de reconstituer les forces militaires et même de les rendre plus puissantes qu’avant. Je ne sais pas quelles sont ses véritables intentions, s’il tient à la paix et à l’intégrité territoriale. Ses actions détermineront le sort de son pays et il en est responsable. Il s’agit là du second nettoyage ethnique en Ossétie du Sud et en Abkhazie au cours des 16 dernières années. Il ne fait qu’attiser les sentiments d’indépendance. Ainsi, si notre ministre des Affaires étrangères a affirmé que tout dépendait de la Géorgie, du gouvernement géorgien, il le pensait vraiment. Quant à moi, ce qui m’intéresse, sincèrement, c’est d’améliorer les relations avec tous nos voisins. Il faut que ce sentiment soit réciproque, mais au lieu de cela, la Géorgie a décidé de quitter la CEI et de rejoindre l’OTAN.

Horizons et débats : Merci beaucoup pour cet entretien, Monsieur l’Ambassadeur.



[1] Valéry V. Loshchinin est, depuis 2006, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, ainsi que Représentant permanent à la Conférence sur le désarmement.
Il est né en 1940 dans la région de Gomel (Biélorussie). En 1964, il a terminé ses études à l’Université d’Etat de Biélorussie (Minsk) et en 1977, il a obtenu le diplôme de l’Académie diplomatique du ministère soviétique des Affaires étrangères (Moscou). Il commença sa carrière diplomatique en 1965 au ministère biélorusse des Affaires étrangères et depuis 1977, il a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères d’URSS. De 2002 à 2005, il a été ministre adjoint des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.

Les Occidentaux dénient que la Géorgie a procédé à un génocide

Entretien avec l’ambassadeur de Russie à l’ONU
Valery Loshchinin : les Occidentaux dénient que la Géorgie a procédé à un génocide

Alors que, sans aucun esprit critique, les médias occidentaux véhiculent une vision unilatérale du conflit géorgien, Horizons et débats a interrogé l’ambassadeur de Russie aux Nations Unies. Ses réponses font apparaître un point de vue cohérent et mesuré, aux antipodes de la prétendue « volonté de puissance retrouvée » que les médias occidentaux prêtent à la Russie.


2 septembre 2008

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Des Ossètes se terrent dans la cave de leur immeuble pour échapper aux bombardements géorgiens (Photo : Ria-Novosti)

Horizons et débats : La première question concerne le conflit de Géorgie. Nous aimerions savoir ce qui s’y passe, les médias de l’Ouest prétendant que la Russie est coupable. Ce que la Géorgie a fait ne prête pas à discussion. Nous désirons des informations pour nos lecteurs, nous voulons leur dire ce qui se passe réellement dans la région

S. Exc. Valery Loshchinin [1] : Merci de votre visite. Il est important que vous souhaitiez des informations honnêtes. C’est important, si l’on considère ce qui se passe dans les médias occidentaux. Cela suscite quantité de questions sur la liberté de la presse dans les médias occidentaux, car il s’agit d’une campagne de propagande contre la Russie. Cette campagne infondée contrevient aux normes de l’information honnête et indépendante ; elle sape les valeurs démocratiques. La réalité est différente. Vous avez mentionné le conflit entre la Russie et la Géorgie. Il s’agit d’un conflit entre la Géorgie d’une part, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’autre part. Il ne date pas d’hier, mais remonte à plusieurs ­siècles. Il n’a jamais cessé. Durant les seize dernières années, on a observé une paix fragile, caractérisée par la présence de bérets bleus, troupes russes incluses. Que s’est-il passé ? Il s’avère que l’agression militaire géorgienne contre l’Ossétie du Sud a été planifiée et appuyée par quelques pays que je m’en voudrais de nommer. Constatant que le temps passait et s’inspirant du précédent que constituait l’affaire du Kosovo, Saakashvili a décidé de faire une guerre éclair. Il entendait mener l’offensive et occuper la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali. Après quoi il espérait obtenir le soutien des États occidentaux et de l’OTAN, ce qui ne s’est pas réalisé.

Il a commencé sa guerre éclair en recourant à des systèmes de fusées. L’artillerie n’a pas atteint des objectifs précis, mais a couvert de larges secteurs et y a tout détruit, y compris l’infrastructure civile. Elle a frappé son propre peuple, celui de Tskhinvali. L’agression a eu lieu de nuit, quand la ville dormait. Aux dernières nouvelles, qui doivent encore être confirmées, la mort a fauché plus de 2 100 personnes. Ce chiffre est considérable, si l’on songe que la population totale ne dépasse pas 70 000 personnes. L’agression d’une nuit et d’un jour, qui a tué des milliers de pauvres Ossètes, constitue un acte de génocide au sens de la convention de l’ONU sur le génocide de 1948. C’était vraiment un génocide. Un autre problème est qu’ils ont incité les gens à quitter leurs maisons. C’était un exode. Plus de 32 000 personnes ont quitté l’Ossétie du Sud. Elles sont devenues réfugiés ou personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Il s’agit de près de la moitié de la population. On peut parler d’épuration ethnique. C’est absolument clair. Nous savons que nos partenaires ne sont pas charmés de nous entendre parler d’épuration ethnique, de génocide, etc. C’est bien naturel, car ils ont entretenu ce régime, l’ont formé, y ont investi beaucoup d’argent et l’ont présenté comme un modèle de démocratie. Or cette démo­cratie mène une politique d’épuration ethnique. Pour nos partenaires des pays occidentaux, il est absolument inacceptable de reconnaître ce fait. Si ces États considèrent comme normal de montrer du doigt d’autres pays en les accusant d’épurations ethniques, cette accusation ne saurait évidemment s’appliquer à la Géorgie « démocratique ». Ils savent qu’ils ont une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. Cela les a incités à défendre sauvagement le régime de Saakashvili et tout ce qu’a fait ce régime criminel durant l’agression géorgienne, tentant d’inverser les rôles et d’attribuer l’agression à la Russie. Il faut saluer que, dans les pays occidentaux, de plus en plus de gens comprennent mieux ce qui s’est vraiment passé.

Il y a quelques jours, Valery Gergiev, musicien de réputation mondiale et chef d’orchestre de l’opéra Marien de Saint-Petersbourg a donné un concert aux ressortissants de Tskhinvali détruite. Homme intègre, ouvert et indépendant, il jouit d’une grande réputation. Il a comparé la ville à Stalingrad. C’était terrible.

Les Géorgiens ont nommé leur opération « Champ libre », ce qui signifie épuration ethnique, tuerie, destruction de tout. Comme ils ne veulent pas avoir d’Ossètes là, ils veulent en débarrasser le territoire. C’est ce qu’ils entendent par intégrité territoriale. Cette poli­tique est absolument inacceptable, elle est un danger pour chacun d’entre nous. Après quoi certains ont déclaré que les portes de l’OTAN étaient ouvertes à la Géorgie. L’agressivité de Tiblissi rend la situation très dangereuse, car elle pourrait impliquer l’OTAN dans des provocations extrêmement dangereuses. À rappeler que lorsque, à maintes reprises, Saakashvili a requis l’aide de l’OTAN, il a tenté d’impliquer les pays occidentaux dans ces actions militaires. Pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé s’ils y avaient donné suite. Ce ne serait pas quelques simples heurts entre la Russie, la Géorgie et l’Ossétie du Sud : la Russie serait en conflit avec des pays occidentaux. C’est terrible.

Horizons et débats : Observant la vie politique ces derniers mois, nous avons constaté de constantes petites attaques verbales contre la Russie. Lors de l’élection de Medvedev, les journaux occidentaux se sont montrés particulièrement virulents contre la Russie. Finalement, ce conflit a éclaté. Pensez-vous qu’il y a un plan stratégique contre la Russie pour la garder hors d’Europe pour essayer de la contrôler ? Autre question : qu’en est-il des bases de missiles en Pologne ? Maintenant, ils ont signé le traité. Pensez-vous que le plan consistait à faire la guerre à l’Ossétie du Sud, puis à rapprocher les autres pays de l’OTAN et à faire en sorte qu’ils concluent le traité et soutiennent la politique des États-Unis ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Ce qu’il nous faut comprendre : la Géorgie s’apprête à se rapprocher de l’Europe, mais surtout des États-Unis. Pourquoi pas ? Mais le régime actuel de Tiblissi croit qu’il pourrait accélérer ce processus en ayant de mauvaises relations avec la Russie. Cette méthode est absolument fausse. Elle est fausse parce que toute solution des problèmes de la Géorgie passe par une solide base de relations amicales avec la Russie.

Comme vous le savez, des troubles entre la Géorgie ainsi que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont eu lieu à l’époque de l’Union soviétique, mais les gens ont vécu néanmoins ensemble. Pourquoi ? Parce qu’ils vivaient dans ce grand pays et y étaient protégés. Mais quand l’Union soviétique s’est désintégrée, l’Abkhazie et l’Ossétie sont devenues une partie de la Géorgie, pour ainsi dire face à face avec Tiblissi. Ayant quelque expérience des relations avec les Géorgiens, elles ont décidé de se protéger en proclamant immédiatement leur indépendance de la Géorgie. La première étape vers une solution des pro­blèmes est d’avoir de bonnes relations avec la Russie. À la Géorgie de jouer.

À propos de la Pologne : Mon impression personnelle est que la Pologne et les États-Unis auraient signé ce traité, que cette agression ait lieu ou non. Peut-être pas maintenant, un peu plus tard. De manière générale, tout avait été préparé à cet égard. Cependant, vous avez tout à fait raison de dire que l’action n’est pas dirigée contre la Corée du Nord, ni contre l’Iran, mais contre la Russie. Et nous l’avons répété souvent à nos partenaires états-uniens, durant les négociations. Ils nous ont rétorqué qu’ils couvriraient certes notre territoire, mais que cela ne signifiait pas qu’ils feraient quelque chose de faux ou d’hostile à la Russie. Nous ne sommes pas naïfs : la réalité est absolument différente.

Horizons et débats : Quel est le rôle de l’Allemagne dans ce conflit ?

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Ambassadeur Valery Loshchinin

S. Exc. Valery Loshchinin : On connaît certaines activités de l’Allemagne à propos de la Géorgie. Tout d’abord parce que l’Allemagne fait partie du « Groupe des amis de la Géorgie ». C’est un groupe mis sur pied par le Secrétaire général des Nations Unies, qui comprend l’Allemagne, la France, la Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Nous nous rencontrons de temps en temps ici à Genève. Je dois dire que l’Allemagne a toujours aidé à promouvoir des initiatives, des idées. Il existe un « Plan Boden ». L’ambassadeur Boden était le représentant du Secrétaire général. C’est un Alle­mand très honnête, impartial, un sage diplomate. Son plan en vue du règlement du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie a été discuté longtemps. Mais après la récente agression, il n’existe plus en tant que base de négociations.

Ce qui est très important maintenant, c’est de ne pas encourager d’autres pays à vouloir accueillir la Géorgie dans l’OTAN. Ce ne serait pas seulement un défi mais un acte hostile à l’égard de la Russie. En même temps, pour être franc, du point de vue de la sécurité de la Géorgie, c’est sans importance. Cela signifie simplement que l’OTAN voudrait se rapprocher de la frontière russe, ce qui peut être interprété comme le fait que l’Alliance considère la Russie comme un opposant potentiel, sinon comme un ennemi. Mais il est nécessaire d’établir de meilleures relations avec la Russie. Il est temps de s’asseoir ensemble à une table et de dresser l’inventaire des questions afin de mieux se comprendre et de prendre des mesures visant à rendre nos relations plus coopératives. La diplomatie russe a toujours considéré les relations internationales de façon ouverte et constructive et est prête à étudier à fond toute question d’intérêt mutuel avec ses partenaires occidentaux. Profitons de l’occasion pour nous réunir à nouveau afin d’écarter tous les éléments qui nous divisent, d’améliorer le sort de nos peuples et de contribuer à la paix et à la sécurité.

Horizons et débats : Quel rôle jouent les États-Unis à cet égard ?

S. Exc. Valery Loshchinin : L’ambassadeur des États-Unis a donné hier une interview à Moscou au célèbre journal Kommersant. Il a déclaré que la Russie avait le droit de réagir aux opérations géorgiennes. Cette déclaration devrait être interprétée comme confirmant que les États-Unis savent qui est l’agresseur et qu’ils ne tiennent pas à entrer dans le conflit.

Horizons et débats : Que peuvent faire l’Union européenne et les pays européens pour mettre un terme à ce conflit et se rapprocher de la Russie et d’autres pays ? Que doit être la politique européenne en faveur de la paix dans le monde ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Tout d’abord, nous devrions appliquer le document en six points approuvé par les présidents Medvedev et Sarkozy qui se trouve sur la table du Conseil de sécurité. Le principe essentiel de ce document est de stopper immédiatement toute action militaire. L’Union européenne approuve ce plan. Certains membres du Conseil de sécurité sont sceptiques, mais il est important de le faire adopter par le Conseil de sécurité afin de faciliter sa mise en œuvre. La Russie a commencé son retrait graduel, qui a été largement couvert par les médias. Cependant nous allons conserver des unités de maintien de la paix à l’intérieur de la zone de sécurité en Ossétie du Sud, car elles sont nécessaires pour garantir la sécurité des habitants.

Si le plan est accepté et qu’en particulier le principe du non recours à la force est appliqué, tous les autres problèmes seront résolus beaucoup plus facilement.

Horizons et débats : À votre avis, quel sera le statut final à la fin des débats ?

S. Exc. Valery Loshchinin : Il est très difficile de le dire de manière absolue. Vous savez qu’hier, quelque 60 000 Abkhazes (plus du tiers de la population totale) se sont rassemblés au centre de Soukhoumi, capitale de l’Abkhazie, pour déclarer leur indépendance. Un événement similaire a eu lieu à Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud. Le peuple a demandé que soit reconnue l’indépendance de la province, non seulement par rapport à la Russie mais aux autres pays. Lundi prochain, des réunions auront lieu à la Douma, à Moscou, ainsi qu’au Conseil de la Fédération de Russie pour aborder cette question. Mon expérience me dit que notre Parlement réagira positivement à ces demandes. Cela ne signifie cependant pas que la reconnaissance par le gouvernement aura lieu immédiatement. Mais comme l’a dit avec raison notre ministre des Affaires étrangères, tout dépend de ce que fera la Géorgie. Or Saakachvili ne tient pas ses promesses et a parlé de reconstituer les forces militaires et même de les rendre plus puissantes qu’avant. Je ne sais pas quelles sont ses véritables intentions, s’il tient à la paix et à l’intégrité territoriale. Ses actions détermineront le sort de son pays et il en est responsable. Il s’agit là du second nettoyage ethnique en Ossétie du Sud et en Abkhazie au cours des 16 dernières années. Il ne fait qu’attiser les sentiments d’indépendance. Ainsi, si notre ministre des Affaires étrangères a affirmé que tout dépendait de la Géorgie, du gouvernement géorgien, il le pensait vraiment. Quant à moi, ce qui m’intéresse, sincèrement, c’est d’améliorer les relations avec tous nos voisins. Il faut que ce sentiment soit réciproque, mais au lieu de cela, la Géorgie a décidé de quitter la CEI et de rejoindre l’OTAN.

Horizons et débats : Merci beaucoup pour cet entretien, Monsieur l’Ambassadeur.



[1] Valéry V. Loshchinin est, depuis 2006, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, ainsi que Représentant permanent à la Conférence sur le désarmement.
Il est né en 1940 dans la région de Gomel (Biélorussie). En 1964, il a terminé ses études à l’Université d’Etat de Biélorussie (Minsk) et en 1977, il a obtenu le diplôme de l’Académie diplomatique du ministère soviétique des Affaires étrangères (Moscou). Il commença sa carrière diplomatique en 1965 au ministère biélorusse des Affaires étrangères et depuis 1977, il a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères d’URSS. De 2002 à 2005, il a été ministre adjoint des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.

La Commission européenne lance un programme de propagande radio





La Commission européenne, qui finance déjà la réalisation de programmes audiovisuels et d’une chaîne de télévision (Euronews), lancera en avril 2008 son propre programme radio à destination des populations de l’Union.

Consciente qu’aucun auditeur n’écoutera spontanément un programme de propagande de l’UE sur un canal ad hoc, la Commission infiltrera son programme sur les ondes de 16 stations nationales de l’Union (Deutsche Welle, Radio France Internationale, Radio Netherlands Worldwide, Polskie Radio, Radio Punto, etc.). Ces émissions seront produites en cinq langues (allemand, anglais, espagnol, français et polonais) et traduites en cinq autres langues (bulgare, grec, hongrois, portugais et roumain)

Les Allemands assureront la coordination éditoriale, les Français la gestion financière et les Néerlandais réaliseront le site web.

Le coût réel de cette opération est inconnu : il en coûtera 5,8 millions d’euros par an à la Commission, mais les principaux postes budgétaires (personnels et studios) seront largement pris en charge par les radios participantes au détriment des budgets nationaux.


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La Commission européenne lance un programme de propagande radio





La Commission européenne, qui finance déjà la réalisation de programmes audiovisuels et d’une chaîne de télévision (Euronews), lancera en avril 2008 son propre programme radio à destination des populations de l’Union.

Consciente qu’aucun auditeur n’écoutera spontanément un programme de propagande de l’UE sur un canal ad hoc, la Commission infiltrera son programme sur les ondes de 16 stations nationales de l’Union (Deutsche Welle, Radio France Internationale, Radio Netherlands Worldwide, Polskie Radio, Radio Punto, etc.). Ces émissions seront produites en cinq langues (allemand, anglais, espagnol, français et polonais) et traduites en cinq autres langues (bulgare, grec, hongrois, portugais et roumain)

Les Allemands assureront la coordination éditoriale, les Français la gestion financière et les Néerlandais réaliseront le site web.

Le coût réel de cette opération est inconnu : il en coûtera 5,8 millions d’euros par an à la Commission, mais les principaux postes budgétaires (personnels et studios) seront largement pris en charge par les radios participantes au détriment des budgets nationaux.


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Crise à la Banque mondiale et au FMI

par Éric Toussaint*

Les soubresauts à la tête des grandes institutions financières internationales ne doivent pas être interprétés comme des affaires de personnes, mais comme les révélateurs d’une profonde crise du système. Or, les réformes proposés par les nouveaux patrons de la Banque mondiale et du FMI, Robert Zoellick et Dominique Strauss-Kahn, ne sont que des replâtrages visant à prolonger le plus longtemps possible le contrôle états-unien. Le moment est venu d’auditer ces institutions et de les repenser dans l’intérêt des pays en développement.


2 février 2008

Crise de légitimité de la Banque mondiale et du FMI


La Banque mondiale et le FMI vivent une grande crise de légitimité. Paul Wolfowitz, président de la Banque depuis juin 2005, a été contraint à la démission en juin 2007 suite au scandale lié au népotisme dont il a fait preuve. Alors que plusieurs pays membres de la Banque mondiale affirmaient qu’il était temps de mettre à la tête de l’institution un citoyen ou une citoyenne du Sud, le président des États-Unis a désigné pour la onzième fois un citoyen états-unien pour la présider, en la personne de Robert Zoellick. Début juillet 2007, c’était au tour du directeur général du FMI, l’Espagnol Rodrigo de Rato, d’annoncer de manière imprévue sa démission [1]. Les États européens se sont mis d’accord pour le remplacer par un Français, Dominique Strauss Kahn. Ces événements récents mettent en évidence aux yeux de la population des pays en développement (PED) que les gouvernements d’Europe et des États-Unis veulent garder un contrôle sans faille sur les deux principales institutions financières multilatérales alors que c’est un Européen, Pascal Lamy, qui préside l’OMC. En résumé, tant les circonstances de la démission de Paul Wolfowitz que la désignation des nouveaux dirigeants des principales institutions qui orientent la mondialisation démontrent que la bonne gouvernance prend un sens très relatif quand il s’agit de la répartition du pouvoir à l’échelle internationale.

La démission forcée de Paul Wolfowitz

Acculé dans ses derniers retranchements, Paul Wolfowitz a annoncé en mai 2007 sa démission de la présidence de la Banque mondiale. L’affaire de népotisme et d’augmentation de salaire exorbitante de sa propre compagne n’est-elle vraiment qu’une simple « erreur » de la part de quelqu’un qui a agi « de bonne foi » ? Foutaises… Connaître Wolfowitz permet de mieux comprendre comment on en est arrivé là [2].

En mars 2005, la décision du président George W. Bush de nommer à la présidence de la Banque mondiale, le sous-secrétaire d’État à la Défense et l’un des principaux architectes de l’invasion militaire de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003, a fait couler beaucoup d’encre.

Wolfowitz est un pur produit de l’appareil d’État des États-Unis. Très tôt, il s’est engagé dans les questions de stratégie militaire. En 1969, il a travaillé pour une commission du Congrès avec l’objectif de convaincre le Sénat de la nécessité de doter les États-Unis d’un parapluie anti-missile face aux Soviétiques [3]. Il a réussi. Un fil rouge dans sa réflexion stratégique : identifier des adversaires (URSS, Chine, Irak…) et démontrer qu’ils sont plus dangereux que ce que l’on imagine, afin de justifier un effort supplémentaire de défense (augmentation du budget, fabrication de nouvelles armes, déploiement massif de troupes à l’étranger) allant jusqu’au déclenchement d’attaques ou de guerres préventives. On connaît la suite… [4]

Deux mots sur le parcours asiatique de Wolfowitz. De 1983 à 1986, il a dirigé le secteur Asie de l’Est et Pacifique du département d’État sous Ronald Reagan, avant de devenir ambassadeur des États-Unis en Indonésie entre 1986 et 1989. Pendant cette période, il a soutenu activement les régimes dictatoriaux, que ce soit Ferdinand Marcos aux Philippines, Chun Doo Hwan en Corée du Sud ou Suharto en Indonésie.

Suite à la mobilisation populaire qui a chassé Ferdinand Marcos en 1986, Wolfowitz a organisé la fuite du dictateur qui a trouvé refuge à Hawaï, 50e État des États-Unis...

Il ne faudrait pas croire pour autant que Paul Wolfowitz soit le mauvais garçon à la tête d’une institution généreuse et immaculée. Il est grand temps d’arracher le voile et de demander des comptes à la Banque mondiale sur son action depuis plus de 60 ans, notamment sur les points suivants :

- pendant la Guerre froide, la Banque mondiale a utilisé l’endettement dans un but géopolitique et systématiquement soutenu les alliés du bloc occidental, notamment des régimes dictatoriaux (Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie, Videla en Argentine, régime d’apartheid en Afrique du Sud, etc.) qui ont violé les droits humains et détourné des sommes considérables, et elle continue de soutenir des régimes de même nature (Déby au Tchad, Sassou Nguesso au Congo, Biya au Cameroun, Musharraf au Pakistan, la dictature à Pékin, etc.) ;

- au virage des années 1960, la Banque mondiale a transféré à plusieurs pays africains nouvellement indépendants (Mauritanie, Congo-Kinshasa, Nigeria, Kenya, Zambie, etc.) les dettes contractées par leur ancienne métropole pour les coloniser, en totale contradiction avec le droit international ;

- une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale a servi à mener des politiques qui ont provoqué des dégâts sociaux et environnementaux considérables, dans le but de faciliter l’accès à moindre coût aux richesses naturelles du Sud ;

- après la crise de la dette de 1982, la Banque mondiale a soutenu les politiques d’ajustement structurel promues par les grandes puissances et le FMI, conduisant à une réduction drastique des budgets sociaux, la suppression des subventions aux produits de base, des privatisations massives, une fiscalité qui aggrave les inégalités, une libéralisation forcenée de l’économie et une mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les grandes multinationales, mesures qui ont gravement détérioré les conditions de vie des populations et vont dans le sens d’une véritable colonisation économique ;

- la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la pauvreté et l’exclusion au lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué à la lettre ses prétendus « remèdes » se sont enfoncés dans la misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et pour 20 pays africains, l’espérance de vie est passée sous la barre des 45 ans ;

- malgré les annonces tonitruantes, le problème de la dette des pays du tiers-monde reste entier car les remises de dette de la part de la Banque mondiale sont réservées à un petit nombre de pays dociles ; au lieu de représenter la fin d’une domination implacable, l’allégement de dette n’est qu’un rideau de fumée qui dissimule en contrepartie des réformes économiques draconiennes, dans la droite ligne de l’ajustement structurel.

Le passif de la Banque mondiale est bien trop lourd pour que l’on puisse se contenter de la démission de Paul Wolfowitz. Son remplacement par Robert Zoellick ne constitue en rien une amélioration.

Robert Zoellick, représentant commercial des États-Unis

Robert Zoellick n’a aucune qualification en matière de développement. Sous la précédente administration Bush, il a été le représentant principal des États-Unis au sein de l’OMC et il a mis en avant systématiquement les intérêts commerciaux de la principale puissance économique mondiale au mépris des intérêts des pays en développement [5]. Lors des préparatifs de la réunion de l’OMC à Doha en novembre 2001, il avait fait le tour des gouvernements africains afin d’acheter leur vote. Il s’agissait de faire adopter l’agenda de Doha qui heureusement était toujours en panne à la fin 2007. Par la suite, il s’est spécialisé dans la négociation des traités bilatéraux de libre-échange [6] signés entre les États-Unis et différents PED (Chili, Maroc, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, République dominicaine, Jordanie, etc.) qui favorisent les intérêts des transnationales nord-américaines et limitent l’exercice de la souveraineté des pays en développement, avant de devenir secrétaire d’État adjoint, auprès de Condoleezza Rice. À partir de juillet 2006, Robert Zoellick a été vice-président du conseil d’administration de Goldman Sachs, chargé des questions internationales, alors que le président de la banque d’investissement, Henry Paulson, devenait secrétaire au Trésor des États-Unis. Robert Zoellick a quitté Wall Street pour prendre la place de Paul Wolfowitz à la présidence de la Banque mondiale en juillet 2007, juste à temps pour ne pour ne pas être directement impliqué dans la crise.

La belle devise de la Banque mondiale (« Notre rêve, un monde sans pauvreté ») ne doit pas faire oublier que fondamentalement, la Banque mondiale est dotée d’un grave vice de forme : elle sert les intérêts géostratégiques des États-Unis, de leurs grandes entreprises et de leurs alliés, indifférente au sort des populations pauvres du tiers-monde.

Dès lors, une seule issue devient envisageable : l’abolition de la Banque mondiale et son remplacement dans le cadre d’une nouvelle architecture institutionnelle internationale. Un fonds mondial de développement, dans le cadre des Nations unies, pourrait être relié à des Banques régionales de développement du Sud, directement dirigées par les gouvernements du Sud, fonctionnant de manière démocratique dans la transparence.

Dominique Strauss-Kahn nouveau directeur du FMI

Le 1er novembre 2007, Dominique Strauss-Kahn [7]a pris ses fonctions à la tête du Fonds monétaire international (FMI) après un long processus savamment orchestré : choix de sa candidature par Nicolas Sarkozy afin d’affaiblir davantage encore l’opposition politique en France ; accord très rapide sur son nom de la part des 27 pays de l’Union européenne afin de couper court aux critiques sur la règle tacite qui attribue systématiquement la présidence du FMI à un Européen (en échange de la direction de la Banque mondiale pour un États-Unien) ; campagne à travers des dizaines de pays soutenue par une coûteuse agence de communication, sur le thème de la « réforme » du FMI et de son soutien aux pays pauvres ; apparition surprise d’un autre candidat (le Tchèque Josef Tosovsky) qui n’avait aucune chance d’être nommé mais a donné l’apparence d’un processus démocratique ; et pour finir, désignation à l’unanimité de Dominique Strauss-Kahn.

Ce tour de passe-passe médiatique avait pour but de dissimuler la réalité du FMI en sévère crise de légitimité lui aussi. Les pays du Sud ne veulent plus faire appel à lui pour ne pas avoir ensuite à subir sa domination brutale. Nombre d’entre eux (Brésil, Argentine, Indonésie, etc.) ont même remboursé par anticipation ce qu’ils lui devaient pour se débarrasser de sa tutelle encombrante. Si bien qu’actuellement, le FMI ne parvient plus à couvrir ses frais de fonctionnement et que son existence même est menacée. D’où la nécessaire « réforme », non pour insuffler un changement démocratique prenant en compte l’intérêt des populations les plus pauvres, mais pour assurer rien moins que sa survie et faire face à une forte contestation à travers la planète.

Le FMI est une institution qui, depuis plus de 60 ans, exige avec la plus grande violence que les dirigeants des pays en développement appliquent des mesures économiques servant l’intérêt des riches créanciers et des très grandes entreprises. Dans ce but, durant les dernières décennies, le FMI a apporté un soutien essentiel à de nombreux régimes dictatoriaux et corrompus, de Pinochet au Chili à Suharto en Indonésie, de Mobutu au Zaïre à Videla en Argentine, et actuellement encore de Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville à Déby au Tchad, et tant d’autres. Depuis la crise de la dette au début des années 1980, le FMI impose aux forceps des programmes d’ajustement structurel aux conséquences dramatiques pour les peuples du Sud : réduction drastique des budgets sociaux et des subventions aux produits de première nécessité, ouverture des marchés et mise en concurrence déloyale des petits producteurs avec les multinationales, production tournée vers l’exportation et abandon du principe de souveraineté alimentaire, privatisations massives, fiscalité aggravant les inégalités…

Nulle institution ne peut se placer au-dessus des textes et traités internationaux et pourtant le FMI s’accorde, de par ses statuts, une immunité juridique totale. Toute réforme du FMI ne pourra se faire sans l’aval des États-Unis qui détiennent une minorité de blocage absolument inacceptable. Tout projet de réforme modifiant les rapports de force internationaux sera donc bloqué par les représentants des grands créanciers. Ces éléments rendent impossible tout changement acceptable de l’intérieur du FMI.

Dès lors puisque le FMI a largement fait la preuve de son échec en termes de développement humain et qu’il est impossible d’exiger de lui qu’il rende des comptes pour son action depuis 60 ans, il faut exiger son abolition et son remplacement par une institution transparente et démocratique, dont la mission sera enfin centrée sur la garantie des droits fondamentaux.

Voilà pourquoi les principales campagnes pour l’annulation de la dette au niveau mondial ont commencé un audit complet des institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale en tête.

 Éric Toussaint
Éric Toussaint est président du CADTM Belgique (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde). Dernier livre publié : Banque du Sud et nouvelle crise internationale, CADTM/Syllepse, 2008.
Les articles de cet auteur




[1] Rodrigo Rato a quitté le FMI pour devenir un des directeurs généraux de Lazard, une grande banque d’affaire de Wall Street. Il travaille dorénavant à Paris et Londres. Il a en charge les fusions/acquisitions d’entreprises. D’après le quotidien espagnol El Pais du 5 décembre 2007, son revenu annuel (salaire + bonus) ne sera pas inférieur à 3 millions d’euros. À signaler qu’avant de devenir directeur général du FMI, Rodrigo de Rato avait été vice-président du gouvernement espagnol de José Maria Aznar.

[2] « Paul Wolfowitz, l’âme du Pentagone », par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 4 octobre 2004.

[3] Voir l’histoire détaillée de la Banque mondiale et de Paul Wolfowitz dans Banque mondiale, le coup d’État permanent, par Éric Toussaint, CADTM/Syllepse, 2006, 310p.

[4] Que l’on se rasure, M. Wolfowitz n’est pas au chômage. Il est aujourd’hui appointé par l’American Enterprise Institute et vient d’être nommé par la sécretaire d’État Condoleezza Rice président de l’International Security Advisory Board (anciennement dénommé Arms Control and Nonproliferation Advisory Board), un organisme consultatif du Département d’État qui surveille le marché mondial de l’armement.

[5] « Robert B. Zoellick, maître d’œuvre de la globalisation », Réseau Voltaire, 10 mars 2005.

[6] Pour Robert Zoellick, « les ALE sont un moyen d’éliminer complètement les barrières commerciales, marché par marché, et d’accroître les occasions d’affaires pour les États-Unis tout en stimulant la croissance et le développement ». Voir Le libre-échange et les accords de commerce dans la politique commerciale des États-Unis, par Christian Deblock, Institut d’études internationales de Montréal, 2004. Document téléchargeable.

[7] « Dominique Strauss-Kahn, l’homme de "Condi" » au FMI, par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5 octobre 2007.

Crise à la Banque mondiale et au FMI

par Éric Toussaint*

Les soubresauts à la tête des grandes institutions financières internationales ne doivent pas être interprétés comme des affaires de personnes, mais comme les révélateurs d’une profonde crise du système. Or, les réformes proposés par les nouveaux patrons de la Banque mondiale et du FMI, Robert Zoellick et Dominique Strauss-Kahn, ne sont que des replâtrages visant à prolonger le plus longtemps possible le contrôle états-unien. Le moment est venu d’auditer ces institutions et de les repenser dans l’intérêt des pays en développement.


2 février 2008

Crise de légitimité de la Banque mondiale et du FMI


La Banque mondiale et le FMI vivent une grande crise de légitimité. Paul Wolfowitz, président de la Banque depuis juin 2005, a été contraint à la démission en juin 2007 suite au scandale lié au népotisme dont il a fait preuve. Alors que plusieurs pays membres de la Banque mondiale affirmaient qu’il était temps de mettre à la tête de l’institution un citoyen ou une citoyenne du Sud, le président des États-Unis a désigné pour la onzième fois un citoyen états-unien pour la présider, en la personne de Robert Zoellick. Début juillet 2007, c’était au tour du directeur général du FMI, l’Espagnol Rodrigo de Rato, d’annoncer de manière imprévue sa démission [1]. Les États européens se sont mis d’accord pour le remplacer par un Français, Dominique Strauss Kahn. Ces événements récents mettent en évidence aux yeux de la population des pays en développement (PED) que les gouvernements d’Europe et des États-Unis veulent garder un contrôle sans faille sur les deux principales institutions financières multilatérales alors que c’est un Européen, Pascal Lamy, qui préside l’OMC. En résumé, tant les circonstances de la démission de Paul Wolfowitz que la désignation des nouveaux dirigeants des principales institutions qui orientent la mondialisation démontrent que la bonne gouvernance prend un sens très relatif quand il s’agit de la répartition du pouvoir à l’échelle internationale.

La démission forcée de Paul Wolfowitz

Acculé dans ses derniers retranchements, Paul Wolfowitz a annoncé en mai 2007 sa démission de la présidence de la Banque mondiale. L’affaire de népotisme et d’augmentation de salaire exorbitante de sa propre compagne n’est-elle vraiment qu’une simple « erreur » de la part de quelqu’un qui a agi « de bonne foi » ? Foutaises… Connaître Wolfowitz permet de mieux comprendre comment on en est arrivé là [2].

En mars 2005, la décision du président George W. Bush de nommer à la présidence de la Banque mondiale, le sous-secrétaire d’État à la Défense et l’un des principaux architectes de l’invasion militaire de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003, a fait couler beaucoup d’encre.

Wolfowitz est un pur produit de l’appareil d’État des États-Unis. Très tôt, il s’est engagé dans les questions de stratégie militaire. En 1969, il a travaillé pour une commission du Congrès avec l’objectif de convaincre le Sénat de la nécessité de doter les États-Unis d’un parapluie anti-missile face aux Soviétiques [3]. Il a réussi. Un fil rouge dans sa réflexion stratégique : identifier des adversaires (URSS, Chine, Irak…) et démontrer qu’ils sont plus dangereux que ce que l’on imagine, afin de justifier un effort supplémentaire de défense (augmentation du budget, fabrication de nouvelles armes, déploiement massif de troupes à l’étranger) allant jusqu’au déclenchement d’attaques ou de guerres préventives. On connaît la suite… [4]

Deux mots sur le parcours asiatique de Wolfowitz. De 1983 à 1986, il a dirigé le secteur Asie de l’Est et Pacifique du département d’État sous Ronald Reagan, avant de devenir ambassadeur des États-Unis en Indonésie entre 1986 et 1989. Pendant cette période, il a soutenu activement les régimes dictatoriaux, que ce soit Ferdinand Marcos aux Philippines, Chun Doo Hwan en Corée du Sud ou Suharto en Indonésie.

Suite à la mobilisation populaire qui a chassé Ferdinand Marcos en 1986, Wolfowitz a organisé la fuite du dictateur qui a trouvé refuge à Hawaï, 50e État des États-Unis...

Il ne faudrait pas croire pour autant que Paul Wolfowitz soit le mauvais garçon à la tête d’une institution généreuse et immaculée. Il est grand temps d’arracher le voile et de demander des comptes à la Banque mondiale sur son action depuis plus de 60 ans, notamment sur les points suivants :

- pendant la Guerre froide, la Banque mondiale a utilisé l’endettement dans un but géopolitique et systématiquement soutenu les alliés du bloc occidental, notamment des régimes dictatoriaux (Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie, Videla en Argentine, régime d’apartheid en Afrique du Sud, etc.) qui ont violé les droits humains et détourné des sommes considérables, et elle continue de soutenir des régimes de même nature (Déby au Tchad, Sassou Nguesso au Congo, Biya au Cameroun, Musharraf au Pakistan, la dictature à Pékin, etc.) ;

- au virage des années 1960, la Banque mondiale a transféré à plusieurs pays africains nouvellement indépendants (Mauritanie, Congo-Kinshasa, Nigeria, Kenya, Zambie, etc.) les dettes contractées par leur ancienne métropole pour les coloniser, en totale contradiction avec le droit international ;

- une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale a servi à mener des politiques qui ont provoqué des dégâts sociaux et environnementaux considérables, dans le but de faciliter l’accès à moindre coût aux richesses naturelles du Sud ;

- après la crise de la dette de 1982, la Banque mondiale a soutenu les politiques d’ajustement structurel promues par les grandes puissances et le FMI, conduisant à une réduction drastique des budgets sociaux, la suppression des subventions aux produits de base, des privatisations massives, une fiscalité qui aggrave les inégalités, une libéralisation forcenée de l’économie et une mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les grandes multinationales, mesures qui ont gravement détérioré les conditions de vie des populations et vont dans le sens d’une véritable colonisation économique ;

- la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la pauvreté et l’exclusion au lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué à la lettre ses prétendus « remèdes » se sont enfoncés dans la misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et pour 20 pays africains, l’espérance de vie est passée sous la barre des 45 ans ;

- malgré les annonces tonitruantes, le problème de la dette des pays du tiers-monde reste entier car les remises de dette de la part de la Banque mondiale sont réservées à un petit nombre de pays dociles ; au lieu de représenter la fin d’une domination implacable, l’allégement de dette n’est qu’un rideau de fumée qui dissimule en contrepartie des réformes économiques draconiennes, dans la droite ligne de l’ajustement structurel.

Le passif de la Banque mondiale est bien trop lourd pour que l’on puisse se contenter de la démission de Paul Wolfowitz. Son remplacement par Robert Zoellick ne constitue en rien une amélioration.

Robert Zoellick, représentant commercial des États-Unis

Robert Zoellick n’a aucune qualification en matière de développement. Sous la précédente administration Bush, il a été le représentant principal des États-Unis au sein de l’OMC et il a mis en avant systématiquement les intérêts commerciaux de la principale puissance économique mondiale au mépris des intérêts des pays en développement [5]. Lors des préparatifs de la réunion de l’OMC à Doha en novembre 2001, il avait fait le tour des gouvernements africains afin d’acheter leur vote. Il s’agissait de faire adopter l’agenda de Doha qui heureusement était toujours en panne à la fin 2007. Par la suite, il s’est spécialisé dans la négociation des traités bilatéraux de libre-échange [6] signés entre les États-Unis et différents PED (Chili, Maroc, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, République dominicaine, Jordanie, etc.) qui favorisent les intérêts des transnationales nord-américaines et limitent l’exercice de la souveraineté des pays en développement, avant de devenir secrétaire d’État adjoint, auprès de Condoleezza Rice. À partir de juillet 2006, Robert Zoellick a été vice-président du conseil d’administration de Goldman Sachs, chargé des questions internationales, alors que le président de la banque d’investissement, Henry Paulson, devenait secrétaire au Trésor des États-Unis. Robert Zoellick a quitté Wall Street pour prendre la place de Paul Wolfowitz à la présidence de la Banque mondiale en juillet 2007, juste à temps pour ne pour ne pas être directement impliqué dans la crise.

La belle devise de la Banque mondiale (« Notre rêve, un monde sans pauvreté ») ne doit pas faire oublier que fondamentalement, la Banque mondiale est dotée d’un grave vice de forme : elle sert les intérêts géostratégiques des États-Unis, de leurs grandes entreprises et de leurs alliés, indifférente au sort des populations pauvres du tiers-monde.

Dès lors, une seule issue devient envisageable : l’abolition de la Banque mondiale et son remplacement dans le cadre d’une nouvelle architecture institutionnelle internationale. Un fonds mondial de développement, dans le cadre des Nations unies, pourrait être relié à des Banques régionales de développement du Sud, directement dirigées par les gouvernements du Sud, fonctionnant de manière démocratique dans la transparence.

Dominique Strauss-Kahn nouveau directeur du FMI

Le 1er novembre 2007, Dominique Strauss-Kahn [7]a pris ses fonctions à la tête du Fonds monétaire international (FMI) après un long processus savamment orchestré : choix de sa candidature par Nicolas Sarkozy afin d’affaiblir davantage encore l’opposition politique en France ; accord très rapide sur son nom de la part des 27 pays de l’Union européenne afin de couper court aux critiques sur la règle tacite qui attribue systématiquement la présidence du FMI à un Européen (en échange de la direction de la Banque mondiale pour un États-Unien) ; campagne à travers des dizaines de pays soutenue par une coûteuse agence de communication, sur le thème de la « réforme » du FMI et de son soutien aux pays pauvres ; apparition surprise d’un autre candidat (le Tchèque Josef Tosovsky) qui n’avait aucune chance d’être nommé mais a donné l’apparence d’un processus démocratique ; et pour finir, désignation à l’unanimité de Dominique Strauss-Kahn.

Ce tour de passe-passe médiatique avait pour but de dissimuler la réalité du FMI en sévère crise de légitimité lui aussi. Les pays du Sud ne veulent plus faire appel à lui pour ne pas avoir ensuite à subir sa domination brutale. Nombre d’entre eux (Brésil, Argentine, Indonésie, etc.) ont même remboursé par anticipation ce qu’ils lui devaient pour se débarrasser de sa tutelle encombrante. Si bien qu’actuellement, le FMI ne parvient plus à couvrir ses frais de fonctionnement et que son existence même est menacée. D’où la nécessaire « réforme », non pour insuffler un changement démocratique prenant en compte l’intérêt des populations les plus pauvres, mais pour assurer rien moins que sa survie et faire face à une forte contestation à travers la planète.

Le FMI est une institution qui, depuis plus de 60 ans, exige avec la plus grande violence que les dirigeants des pays en développement appliquent des mesures économiques servant l’intérêt des riches créanciers et des très grandes entreprises. Dans ce but, durant les dernières décennies, le FMI a apporté un soutien essentiel à de nombreux régimes dictatoriaux et corrompus, de Pinochet au Chili à Suharto en Indonésie, de Mobutu au Zaïre à Videla en Argentine, et actuellement encore de Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville à Déby au Tchad, et tant d’autres. Depuis la crise de la dette au début des années 1980, le FMI impose aux forceps des programmes d’ajustement structurel aux conséquences dramatiques pour les peuples du Sud : réduction drastique des budgets sociaux et des subventions aux produits de première nécessité, ouverture des marchés et mise en concurrence déloyale des petits producteurs avec les multinationales, production tournée vers l’exportation et abandon du principe de souveraineté alimentaire, privatisations massives, fiscalité aggravant les inégalités…

Nulle institution ne peut se placer au-dessus des textes et traités internationaux et pourtant le FMI s’accorde, de par ses statuts, une immunité juridique totale. Toute réforme du FMI ne pourra se faire sans l’aval des États-Unis qui détiennent une minorité de blocage absolument inacceptable. Tout projet de réforme modifiant les rapports de force internationaux sera donc bloqué par les représentants des grands créanciers. Ces éléments rendent impossible tout changement acceptable de l’intérieur du FMI.

Dès lors puisque le FMI a largement fait la preuve de son échec en termes de développement humain et qu’il est impossible d’exiger de lui qu’il rende des comptes pour son action depuis 60 ans, il faut exiger son abolition et son remplacement par une institution transparente et démocratique, dont la mission sera enfin centrée sur la garantie des droits fondamentaux.

Voilà pourquoi les principales campagnes pour l’annulation de la dette au niveau mondial ont commencé un audit complet des institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale en tête.

 Éric Toussaint
Éric Toussaint est président du CADTM Belgique (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde). Dernier livre publié : Banque du Sud et nouvelle crise internationale, CADTM/Syllepse, 2008.
Les articles de cet auteur




[1] Rodrigo Rato a quitté le FMI pour devenir un des directeurs généraux de Lazard, une grande banque d’affaire de Wall Street. Il travaille dorénavant à Paris et Londres. Il a en charge les fusions/acquisitions d’entreprises. D’après le quotidien espagnol El Pais du 5 décembre 2007, son revenu annuel (salaire + bonus) ne sera pas inférieur à 3 millions d’euros. À signaler qu’avant de devenir directeur général du FMI, Rodrigo de Rato avait été vice-président du gouvernement espagnol de José Maria Aznar.

[2] « Paul Wolfowitz, l’âme du Pentagone », par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 4 octobre 2004.

[3] Voir l’histoire détaillée de la Banque mondiale et de Paul Wolfowitz dans Banque mondiale, le coup d’État permanent, par Éric Toussaint, CADTM/Syllepse, 2006, 310p.

[4] Que l’on se rasure, M. Wolfowitz n’est pas au chômage. Il est aujourd’hui appointé par l’American Enterprise Institute et vient d’être nommé par la sécretaire d’État Condoleezza Rice président de l’International Security Advisory Board (anciennement dénommé Arms Control and Nonproliferation Advisory Board), un organisme consultatif du Département d’État qui surveille le marché mondial de l’armement.

[5] « Robert B. Zoellick, maître d’œuvre de la globalisation », Réseau Voltaire, 10 mars 2005.

[6] Pour Robert Zoellick, « les ALE sont un moyen d’éliminer complètement les barrières commerciales, marché par marché, et d’accroître les occasions d’affaires pour les États-Unis tout en stimulant la croissance et le développement ». Voir Le libre-échange et les accords de commerce dans la politique commerciale des États-Unis, par Christian Deblock, Institut d’études internationales de Montréal, 2004. Document téléchargeable.

[7] « Dominique Strauss-Kahn, l’homme de "Condi" » au FMI, par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5 octobre 2007.

Le Tsunami de la honte

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ce proverbe illustre parfaitement le scandale qui se produit au Sri Lanka



Tout le monde se souvient du Tsunami qui a frappé cette région du globe, ainsi que de l’énorme élan de générosité qui a suivi. Pourtant tout n’est pas rose.

Deux ans auparavant, USAID, la banque mondiale et son antenne dans la région, la Banque asiatique de développement lorgnait avec convoitise sur ce petit pays, avec sa faune préservée, ses milliers d’éléphants sauvages, léopards, singes, plages vierges, montagnes parsemées de temples et de lieux sacrés hindous, boudhistes, ou musulmans.

Le tourisme haut de gamme est un marché de croissance des plus intéressant.
Alors la banque avait tenté de mettre en place un programme alléchant, avec son lot d’hôtels de luxe, afin d’inviter sur les bords de mer, les touristes aisés.

Mais voilà, les pêcheurs installés au bord des plages ne voyaient pas çà d’un bon œil.

Le programme proposé par les investisseurs touristiques prévoyait l’exode de millions de personnes, lesquelles devaient quitter leurs villages traditionnels afin de libérer les plages pour les touristes, et les terrains pour les hôtels.

Ce programme « regaining Sri Lanka » ne faisait pas l’unanimité, loin s’en faut. Et le Tsunami arriva.

Le nouveau gouvernement devait emprunter des millards de dollars pour reconstruire, et les futurs créanciers avaient compris que c’était l’occasion révée pour reprendre la main.

Les agriculteurs, les pécheurs militants qui auparavant bloquaient les routes pour empecher le passage des bulldozers avaient d’autres préoccupations.
Ce fut donc un second tsunami, économique celui la, qui se rua à l’assaut des belles plages.Quatre jours à peine après que le tsunami eut frappé le pays, le gouvernement mis en place un programme afin de privatiser l’eau potable. Le pays étant encore inondé, et parsemé de cadavres, peu de Sri Lankais s’en inquiétèrent.

La Présidente du Sri Lanka décida alors de retirer aux politiciens élus la gestion de la reconstruction du pays, et la confia à un groupe privé composé de chefs d’entreprises des plus puissants dans les secteurs de l’industrie et de la banque.

5 membres de ce groupe avaient des intérèts dans le tourisme balnéaire, et représentaient les plus grands hôtels du pays.

Washington soutint le groupe de travail au moyen d’une d’aide de 48 millions de dollars destinée à la reconstruction.

Cette aide fut versée à CH2M, géant de la construction, installé au Colorado, afin d’effectuer des travaux dans trois ports en eau profonde, dans le cadre d’un projet visant à faire du village d’Arugam Bay un « paradis touristique ».
Bien sur une « zone tampon » fut mise en place, afin de dissuader les villageois de venir se réinstaller sur leurs terrains.

La seule aide directe que le gouvernement des Etats Unis destina aux pécheurs se montait à un seul million de dollars, et fut utilisée pour la réfection des baraques en toles, appelés abris temporaires, et destinés à devenir permanents sous la forme d’un immense bidonville, bien loin des plages qu’ils occupaient.

Mais en France, ou ailleurs, tous ceux qui ont fait des dons sont loin de penser que l’argent qu’ils ont généreusement versé à pris « d’autres directions ».

Il en va ainsi de par le monde de la finance et du profit maximum.

A lire avec intérèt et attention le magnifique livre de Naomi Klein, aux éditions acte sud, paru en mai 2008, (la stratégie du choc) qui décrit dans le détail ce que je viens de rédiger, avec bien d’autres découvertes éffarantes tout au long des 670 pages.

Car comme dit un vieil ami africain : « Celui qui n’a pas traversé ne se moque pas de celui qui s’est noyé ».


olivier cabanel


Auteur de l'article :

olivier cabanel

passé de l’architecture à la chanson, en gardant toujours un fort engagement dans la lutte pour (...)

Le Tsunami de la honte

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ce proverbe illustre parfaitement le scandale qui se produit au Sri Lanka



Tout le monde se souvient du Tsunami qui a frappé cette région du globe, ainsi que de l’énorme élan de générosité qui a suivi. Pourtant tout n’est pas rose.

Deux ans auparavant, USAID, la banque mondiale et son antenne dans la région, la Banque asiatique de développement lorgnait avec convoitise sur ce petit pays, avec sa faune préservée, ses milliers d’éléphants sauvages, léopards, singes, plages vierges, montagnes parsemées de temples et de lieux sacrés hindous, boudhistes, ou musulmans.

Le tourisme haut de gamme est un marché de croissance des plus intéressant.
Alors la banque avait tenté de mettre en place un programme alléchant, avec son lot d’hôtels de luxe, afin d’inviter sur les bords de mer, les touristes aisés.

Mais voilà, les pêcheurs installés au bord des plages ne voyaient pas çà d’un bon œil.

Le programme proposé par les investisseurs touristiques prévoyait l’exode de millions de personnes, lesquelles devaient quitter leurs villages traditionnels afin de libérer les plages pour les touristes, et les terrains pour les hôtels.

Ce programme « regaining Sri Lanka » ne faisait pas l’unanimité, loin s’en faut. Et le Tsunami arriva.

Le nouveau gouvernement devait emprunter des millards de dollars pour reconstruire, et les futurs créanciers avaient compris que c’était l’occasion révée pour reprendre la main.

Les agriculteurs, les pécheurs militants qui auparavant bloquaient les routes pour empecher le passage des bulldozers avaient d’autres préoccupations.
Ce fut donc un second tsunami, économique celui la, qui se rua à l’assaut des belles plages.Quatre jours à peine après que le tsunami eut frappé le pays, le gouvernement mis en place un programme afin de privatiser l’eau potable. Le pays étant encore inondé, et parsemé de cadavres, peu de Sri Lankais s’en inquiétèrent.

La Présidente du Sri Lanka décida alors de retirer aux politiciens élus la gestion de la reconstruction du pays, et la confia à un groupe privé composé de chefs d’entreprises des plus puissants dans les secteurs de l’industrie et de la banque.

5 membres de ce groupe avaient des intérèts dans le tourisme balnéaire, et représentaient les plus grands hôtels du pays.

Washington soutint le groupe de travail au moyen d’une d’aide de 48 millions de dollars destinée à la reconstruction.

Cette aide fut versée à CH2M, géant de la construction, installé au Colorado, afin d’effectuer des travaux dans trois ports en eau profonde, dans le cadre d’un projet visant à faire du village d’Arugam Bay un « paradis touristique ».
Bien sur une « zone tampon » fut mise en place, afin de dissuader les villageois de venir se réinstaller sur leurs terrains.

La seule aide directe que le gouvernement des Etats Unis destina aux pécheurs se montait à un seul million de dollars, et fut utilisée pour la réfection des baraques en toles, appelés abris temporaires, et destinés à devenir permanents sous la forme d’un immense bidonville, bien loin des plages qu’ils occupaient.

Mais en France, ou ailleurs, tous ceux qui ont fait des dons sont loin de penser que l’argent qu’ils ont généreusement versé à pris « d’autres directions ».

Il en va ainsi de par le monde de la finance et du profit maximum.

A lire avec intérèt et attention le magnifique livre de Naomi Klein, aux éditions acte sud, paru en mai 2008, (la stratégie du choc) qui décrit dans le détail ce que je viens de rédiger, avec bien d’autres découvertes éffarantes tout au long des 670 pages.

Car comme dit un vieil ami africain : « Celui qui n’a pas traversé ne se moque pas de celui qui s’est noyé ».


olivier cabanel


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olivier cabanel

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Un “Club des 5″ est créé pour se protéger des viols de brevets

Par : Cyril Fussy - lundi 30 juin 2008 à 15:04

Google, Cisco, HP, Ericsson et Verizon s’unissent dans la lutte contre les violations de brevets.

Chaque société du Club des 5 versera dans un premier temps 250′000$ à l’Allied Security Trust, ou “Groupe allié dans la sécurité”, pour contribuer au fond de 5 millions devant être au final levé pour acquérir de la propriété intellectuelle.

D’après le Wall Street Journal, les sociétés espèrent acquérir de la propriété intellectuelle avant tout le monde et éviter les tribunaux.

Il paraîtrait que la bataille en justice de Research in Motion (RIM) contre NTP aurait inspiré les géants de l’IT à unir leurs efforts. Le fabricant du Blackberry a du cracher 612,5 millions de dollars en 2006 suite à cette affaire.

INQ

Un “Club des 5″ est créé pour se protéger des viols de brevets

Par : Cyril Fussy - lundi 30 juin 2008 à 15:04

Google, Cisco, HP, Ericsson et Verizon s’unissent dans la lutte contre les violations de brevets.

Chaque société du Club des 5 versera dans un premier temps 250′000$ à l’Allied Security Trust, ou “Groupe allié dans la sécurité”, pour contribuer au fond de 5 millions devant être au final levé pour acquérir de la propriété intellectuelle.

D’après le Wall Street Journal, les sociétés espèrent acquérir de la propriété intellectuelle avant tout le monde et éviter les tribunaux.

Il paraîtrait que la bataille en justice de Research in Motion (RIM) contre NTP aurait inspiré les géants de l’IT à unir leurs efforts. Le fabricant du Blackberry a du cracher 612,5 millions de dollars en 2006 suite à cette affaire.

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